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Anthologie permanente : Rosamund Stanford & Robert Berold

Par Florence Trocmé

Anne-Marie Soulier, poète et traductrice (anglais et surtout norvégien) a proposé à Poezibao cet ensemble de traductions consacrées à deux poètes sud-africains peu connus en France et qu’elle a réalisées pour la Revue Alsacienne de Littérature. Occasion pour Poezibao de saluer cette revue et son travail de fond en faveur de la littérature non seulement alsacienne mais aussi étrangère.  
 
 
La mort de Papy 
 
le temps  plus mince que la peau de glace du barrage  
 
 
 
le sol noir de gel étendu sur notre cour fragile 
frise anthracite du réservoir de diesel et du générateur 
billot à fendre le bois, sacs vides 
 
 
rien pour remuer l’odeur du fumier ou du créosote 
 
et la faible puanteur des latrines parvient à travers les chênes 
 
 
 
nous nous taisons, debout comme chevaux qui dorment 
 
stupéfaits 
 
devant notre deuil 
 
Rosamund Stanford, extrait de The Peeling of Skies, traduction : Anne-Marie Soulier), version originale du poème dans la suite de note. 
 
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tiens, reprends le permis 
 
Alors oui, je suis contente, contente de te la rendre, 
cette voiture de nos accidents, cette berline disgraciée, 
cette carapace de mes peurs, ce coin à moi pour pleurer, 
prends-là donc, comment as-tu pu me l’envier,  
je l’ai payée en gardant le cap, 
en allant bien tout droit le long de cette rue-ci puis d’une autre 
puis d’une autre 
je l’ai payée en restant sur la route 
jusqu’à ce que la peur m’empêche de fermer les yeux, 
la peur de les rouvrir et de ne plus reconnaître les maisons, 
les panneaux, les trottoirs, 
la peur qu’en les fermant une seule fois 
je ne reconnaîtrais plus mes amis ni les arbres mutilés par les fils de fer, 
alors je n’ai plus cillé, 
j’ai gardé les yeux grands ouverts. 
 
Répare la voiture s’il te plaît, 
répare-la bien comme il faut, ôtes-en les chocs et tout ce qui ne tient plus, 
enlève aussi les vendeurs voyous, 
gratte cet horrible rouge foncé, 
fais-la briller de nouveau comme un miroir au soleil, refais-la immatriculer, 
retrouve la clef perdue, je suis désolée qu’elle ait disparu, j’ai cherché partout 
mais je regardais droit devant moi, je n’ai pas pu voir où elle tombait, 
le réservoir est grand, le tout peut encore tenir un bon bout de chemin, 
il faudrait peut-être mettre des pare-chocs plus solides, 
je crois que je les ai complètement usés 
mais les pneus sont bons, des Firestone, et la roue de secours une Goodyear 
je crois quand même qu’il y a un trou dans le pot d’échappement, 
désolée de te la rendre comme ça, c’est arrivé au retour 
en venant te la rapporter. 
 
Rosamund Stanford, traduction Anne-Marie Soulier), Revue Alsacienne de Littérature, n° 111, septembre 2010)
 
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la lettre 
 
Voyant que son mariage l’érode chaque jour un peu plus, 
il s’en va – une fois n’est pas coutume – dans le crépuscule,  
s’arrête un beau matin dans un bourg de campagne. 
 
Voilà que je cherchais, se dit-il dans l’hôtel en bord de route, 
regardant, par-delà les couples, les gracieux acacias, 
et la radio est allumée chaque matin au petit déjeuner. 
 
La lettre est arrivée, noire de coups de tampons : Chère Mary, 
Je ne voulais pas te faire mal, j’aurais eu trop à dire. 
Si je voyais en toi un navire sur un océan de lumière, 
 
tu serais le corps que je voudrais faire voguer. 
Mais j’ai mon lourd passé et mon complet-veston, 
Et le monde est plus noir que je n’avais prévu, bises, John. 
 
Cher John, répondit-elle – Cher John, cher John, 
je t’ai porté dans mon courant. J’ai enduré ton dur regard. 
Je t’ai senti tout autour de moi, par chaque cellule. 
 
Qui a téléphoné quand la colline avait pris feu ?  
Qui tremblait de peur quand les chauves-souris ont envahi la ferme ? 
Pas une épingle, pas un filament, pas même un fil n’a pu te retenir. 
 
Reste où tu es jusqu’à ce que tu aies compris ce que tu veux, 
Bien à toi, Mary. 
 
 
Robert Berold, traduction Anne-Marie Soulier , Revue Alsacienne de Littérature n° 111, septembre 2010  
 
versions originales des poèmes en cliquant sur « lire la suite de...)
 
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Pa's Passing  
 
the time  thinner than the dam starting its ice skin 
 
 
 
the soil dark-frozen over our brittle yard 
 
 charcoal frieze of diesel tank and generator, 
 
 chopping block and emptied sacks 
 
 
 
nothing stirs the smell of manure or creosote 
 
and the longdrop reeks just faintly through the oaks 
 
 
 
we stand   still, like sleeping horses 
 
in awe 
 
before our mourning 
 
 
Rosamund Stanford, extrait de The Peeling of Skies 
 
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here’s the licence 
 
So yes, i’m content, content to hand it back,  
this car of our crashes, this disgraced saloon  
this carapace of my fears, this private weeping place 
take it all, why did you ever envy me it, 
i paid for it by staying on the rails,  
by steering straight ahead, down this street then another street 
then another 
i paid for it by keeping on track 
until i couldn’t close my eyes for fear,  
for fear that when i opened them i wouldn’t recognise the houses,  
the street signs, the pavements,  
for fear that if i shut my eyes just once  
i wouldn’t know my friends the wire-maimed trees  
so i never blinked again,  
my eyes stayed starkly open. 
 
fix the car will you 
fix it nicely, take all the crashes and unfixed things away 
and the crooked dealers too,  
scrape away that horrible darkened red,  
make it shine again, like a mirror in the sun, reregister it,  
and find the missing key, i’m sorry it disappeared, i searched and searched  
but i was looking straight ahead, so wouldn’t have noticed where it fell  
the tank is big and it still holds the road nicely,  
maybe it could do with some better shock absorbers though,  
i think i used them up 
but the tyres are good, firestones and the spare a goodyear  
i think though, there may be a perforation somewhere in the exhaust,  
sorry to give it back with that, it happened on my way back  
delivering it to you.  
 
Rosamund Stanford 
 
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the letter 
 
Finding each day that he’s eroded in his marriage 
he sets off uncharacteristically into the sunset, 
getting off one morning in a small country town. 
 
This is it, he thinks, at the roadside hotel 
as he looks past the couples at the graceful acacias, 
radio playing each morning at breakfast. 
 
The letter arrived black with postmarks, dear Mary, 
I didn’t mean to hurt you, I had too much to say. 
If I saw you as a ship on an ocean of sunlight 
 
then you were the body that I wanted to sail. 
So here I am with a dark past, in a suit, 
and the world is darker than I ever imagined, love John. 
 
Dear John, she wrote back – Dear John, dear John, 
I’ve borne you in my current.  I’ve stood inside your straight look. 
I’ve felt you all around me, each cell. 
 
Who was it who phoned when the hill was on fire? 
Who shook with fear when bats entered the farmhouse? 
Not a pin, not a filament, not even a thread could hold you. 
 
Stay there until you heed your warnings, 
I remain, yours Mary. 
 
Robert Berold 


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