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Personne ne poussera la nuit, d'Emmanuel Malherbet (par Amandine Marembert)

Par Florence Trocmé

Couverture Malherbet Ce livre est composé d’une unité de poèmes-colonnes qui se dressent face aux éléments. En effet le poète s’attache à dire sa proximité avec ce qu’on devine être les Alpes françaises, le Jura suisse, le lac Léman, dans ce qu’ils ont de familiarité pour lui et de distance qui dépasse l’humain. Les poèmes allongés se laissent toutefois traverser par diverses inventivités formelles qui savent épouser la météorologie, le moment de la journée, la forme de la nature que l’œil embrasse.  
Vers décalés, en escalier sur la page : 
 
en quoi j’aimais 
  l’à peine mouvement  
  des cimes 
  le roulis 
 
des arbres 
la matière l’ajour / de l’air 
 
  et 
 
le sous bois continué 
le ruissellement continué 
où le pas reste / 
 
  figé sous des éclaircies 
  de débardage – 
 
 Tirets comme listes des mouvements du paysage : 
 
  – le vent prend 
  -– pousse vers rien 
  – le lac dans ses rives 
 
 Italiques pour les apartés : 
 
  un bout 
  
de lucarne en avion 
  des moutons 
  des nuages  
 
  des gens dans l’avion 
  des gens passent 
  dans la lucarne 
  du ciel 
 
  sous la lucarne 
  aussi des gens passent 
  – qu’ils ne voient pas  
 
Slashs pour les variations et les nuances de couleurs : 
 
qu’il pleuve 
ce sera du vent 
le jardin 
  – de sable 
irisé-gris / gris-bleu / bleu-gris 
 
Espaces blancs à respirer les silences, structures anaphoriques-refrains de certains poèmes, petites suites numérotées comme journal de bord.  
 
Le paysage est vu comme un corps à observer, à palper du regard, qu’on n’ose pas déranger de son sommeil.  
 
AU-DESSUS DU MOUDON 

ça porte le ciel 
ça monte ces épaules 
de pâtures douces 
côtelées de forêts 
ces vagues comme d’un corps endormi 
d’un autre et d’un autre 
– tant de courbes étant 
la première la seule 
respiration où se mêlent 
l’en bas le dedans de la terre 
l’en haut le dedans du ciel 
 
ORAGE EN FACE 

C’est 
oui c’est comme 
une glace une  
verticale 
dressée depuis 
le dessus depuis 
et droit dans le ciel 
le dessus des montagnes 
le Jura les pentes 
sur Lausanne 
mais c’est 
c’est quand même 
un corps assoupi 
en ligne d’épaules 
ou de hanches comme 
un corps au bras 
replié un geste 
de sommeil  
 
Comment alors positionner son corps d’humain face à ces corps naturels ? Quoi sinon rester / au tout proche / dans le cintre d’un geste / le coup de rein des mots / dans le centre / le dedans. 
De la répétition proche des mots naît un sens inattendu, une réalité surlignée qu’on n’aurait pas imaginée. Sur la crête laisser / courir le regard / plus que regard et vision / caresse plus que caresse. Si tout se tient / plus rien ne manque / de ce qui manque. C’est encore / naissante de la lumière / dans la lumière. Ce front borné / des nuages cette / montagne sur / la montagne. 
Emmanuel Malherbet se laisse traverser par les éléments, se « sent bousculé caressé par le ciel, les arbres, forêts, lacs, lumière, cimes, roulis, pâtures, vent, mer, glace, crêtes, éboulements ». Ce « rapport charnel et pictural questionne sur l’infini, l’envie de pousser cette épaisseur des nuages, du vent, de la nuit, traverser l’espace, traverser les jours ». 
 
PERSONNE NE POUSSERA LA NUIT 
 
La nuit est calme 
si personne 
ne lance 
vers le ciel 
  des cordes 
ni ne veut 
  tirer 
la lune vers en bas 
 
La nuit si personne 
ne lève au-dessus de la tête 
  ses bras 
ni ne pousse 
grimpé sur une chaise 
  les nuages en tas 
 
La nuit est épaisse 
 
Est-ce qu’on peut ? 
Est-ce qu’on peut seulement 
donner de l’épaule dans le vent ? 
le tourner 
le retourner ? 
Est-ce qu’on peut – 
et vouloir 
que l’arbre monte 
déplie ses branches ajoutant 
à l’ombre encore de l’ombre ? 
 
Qui pourrait éloigner l’obscurité dehors et en nous ? Personne / personne ne poussera la nuit / ni ne fera plus / de place. Il faut savoir occuper les jours de la manière la plus exacte. Nous habitons les jours nous / passons dans les jours il faut élire / dans les jours lequel mérite / ce nom // de même faut-il / sur le ciel en découpe saisir la branche / bien venue sans quoi l’arbre n’est pas / arbre. C’est un jeu d’adresse du cœur et des mains. Il faut tenir le jour / dans le plein de son nom. 
Les éditions Potentille publient des livres soignés à la jaquette ivoire, une poésie voyageuse, subtile et délicate. Une herbe des talus qui met du baume aux pieds des poètes marcheurs infatigables. 
 
Amandine Marembert. 
 
Emmanuel Malherbet, Personne ne poussera la nuit,  éditions Potentille, 7 €


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