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"Les civilisations ne disparaissent pas par meurtre mais par suicide" Tornby

Publié le 14 avril 2011 par Guy Deridet
Bien loin des banalités énoncées par Nicolas Hulot, tout récent candidat à la présidentielle et icône de certains écolos qui regardent trop la télévision (comment peut on croire une seconde à la sincérité écologique d’un homme qui travaille depuis si longtemps pour TF1 ?) voici quelques réflexions qui me paraissent tout à fait justes sur le rôle éminent de l’homme dans la destruction de notre planète. Perdons-nous le contrôle de la planète? Laurent Carpentier, co-auteur de Voyage dans l'anthropocène, avec Claude Lorius, a répondu aux questions des internautes.

Marc : C'est quoi exactement "l'anthropocène"?

C'est, comme le dit le sous-titre du livre que nous avons écrit avec Claude Lorius, "cette nouvelle ère dont nous sommes les héros". Si on regarde l'histoire de la planète, on découvre plein d'accidents, de catastrophes, de modifications de la Terre liées à sa position par rapport au soleil, aux éruptions volcaniques, et tout ça prend énormément de temps, et puis, il y a deux cent ans, on découvre que d'un seul coup, les choses se modifient pour une raison totalement inédite: à cause d'une espèce vivante, l'homme. Qui par son action transforme non seulement la biosphère, le vivant, mais aussi l'atmosphère, l'hydrosphère, et même la roche: l'homme est devenu la principale force géologique. Et ceci nécessite que l'on donne à cette période de temps un nouveau nom, c'est ce dont discutent les spécialistes de stratigraphie: c'est l'anthropocène

Duo : Curiosité... Comment en êtes vous venu à collaborer avec Claude Lorius?

Claude et moi nous sommes rencontré au Groenland. C'est là dans "le Fjord de l'éternité", où l'on pouvait voir les moraines nouvellement visibles racontant le retrait du glacier, dans le reflet des eaux minérales, que nous avons décidé de raconter et de dire... Mais pas de façon polémique, nous avons cherché à comprendre et à voyager avec le lecteur, c'est tout l'intérêt je crois de ce "Voyage" qui a duré deux ans et dans lequel nous avons embarqué du monde: deux directrices de collection, Anne Tézenas du Montcel et Elisabeth Nivert, une complice suisse, Anne-Christine Clottu-Vogel, et puis des spécialistes qui ont relu et critiqué avec efficacité ce travail: Jean Jouzel, Jacques Grinewald, André Lebeau et Fabrice Nicolino. Enfin, nous avonsrencontré Actes Sud qui a mis toute son énergie au service de ce projet. Depuis deux ans, avec Claude, ce fut plus qu'un livre, une exploration...

Doywan : Le climat est-il réellement déréglé ou bien est-ce juste une évolution "normal" qui de toute façon devait arriver?

C'est toujours une question d'échelle... Si on travaille sur 1 milliard d'années, il est clair que le climat devait "normalement" se dérégler. Mais là dans cette période très clémente sur terre qui a vu l'homme y naître, se développer, exister, nous assistons à un dérèglement tout à fait inquiétant, et dont l'irréversibilité est aujourd'hui posée...

Jasper : Si l'homme a détraqué la planète, peut-il réparer ses dégâts? Ou bien allons nous juste temporiser les dégâts?

La question de l'irréversibilité est posée. Des chercheurs canadiens viennent encore de publier une enquête là-dessus. Ce n'est pas pour autant qu'il faut baisser les bras. Claude et moi avons fini par décider que nous étions des "pessimistes actifs". Ce n'est pas parce qu'on pense que le ciel est noir qu'on ne peut espérer dans un sursaut de l'humanité.

Roman : Comment savoir qui croire dans le débat sur le climat? Depuis quelques temps, les discours catastrophistes sont contrebalancés par des intervenants plus modérés qui semblent penser que la situation est loin d'être aussi grave qu'on ne le dit. Alors panique ou pas panique?

Là je vous renverrai à un livre formidable, Climate Cover up de James Hoggan (Cela se trouve en français mais je n'ai pas le titre de mémoire), il raconte bien la fabrique du climato-scepticisme. J'ai moi-même fait uneenquête pour Le Monde magazine sur "les Orphelins du progrès" en avril dernier. En fait scientifiquement, il n'y a guère de débat. Une chercheuse reconnue de San Diego, Naomi Oreskes a montré que 95% des études confirmaient le réchauffement. Dans le même temps, une autre étude montrait que dans la presse grand public, par souci d'objectivité et goût pour la polémique, 50% des publications étaient climato-sceptiques. On a besoin d'un Claude Allègre pour animer les plateaux de télévision. L'anthropocène c'est aussi la société du spectacle...

Bab : Quelles conclusions tirez-vous du sommet de Cancun? Bilan positif? Négatif? Ce type de réunion sert-il vraiment à quelque chose? A quelqu'un?

Il est évident que la vraie question que pose le climat, c'est que la Terre est une et indivisible et qu'il ne peut y avoir de solution indépendante. Tout est interrelié, et de ce fait, toute solution passe par une décision collective. Oui Ce genre de sommets est nécessaire, la question c'est comment les rendre efficace...

Bab : Vous dites que les sommets comme Cancun sont utiles. Mais les conclusions de Cancun étaient-elle suffisantes?

Sans doute pas. Mais faut-il préférer un crash complet comme celui de Copenhague? Vaste de débat. Je ne suis pas un habitué des négociations internationales mais je ne pense pas que Cancun ait été un tournant dans l'histoire de celles-ci.

Damien : Quels sont les pays qui freinent les décisions nécessaires à la lutte contre le réchauffement climatique?

Les pays qui y ont le plus à perdre, donc les pays industrialisés, Etats-Unis en tête. Vous avez vu la position de la nouvelle chambre des représentants dominée par les Républicains? Cela parle de soi...

Laquestion : Est-il utile que chaque citoyen fasse un geste (ex: tri sélectif), ou tous les efforts doivent-être produits par les entreprises et les états?

Oups, j'ai jeté mon gobelet en plastique dans la mauvaise poubelle... Trêve de blague, regardez les tonnes de sacs plastiques qui envahissent les mers, et vous ferez votre tri, et vous commencerez à trouver que le journal ne devrait pas être sous blister avec pub cadeau direct poubelle, etc... Reste que l'on a eu tendance ces dernières années à culpabiliser le citoyen, et à laisser filer les grandes décisions qui mettent en cause les systèmes économiques sur lesquels les Etats sont construits. Quand Copenhague échoue, quand Edgar Morin appelle à repenser la vie, c'est peut-être là l'expression de ce même syndrome. Nous ne cherchons pas, Claude et moi, et c'était vraiment un souci de ce livre, à culpabiliser qui que ce soit. Mais à faire bouger les lignes.

Pessimiste : L'homme détruit la planète à petit feu. Quelles solutions proposez-vous? Y en a-t-il vraiment, des solutions?

Bonne question: y a t il des solutions. J'aimerai comme Al Gore pouvoir dire: voici, regardez c'est simple achetez une Prius, investissons dans l'éolien, et mettons l'économie au vert et tout sera réglé. Les choses sont beaucoup plus compliquées que ça. Mais les envisager est déjà un énorme pas. La prise de conscience nous oblige à repenser la vie. Et c'est ce que nous avons commencé à faire, comme ici, tous et collectivement.

Climatoto : Ecologie et croissance sont-ils compatibles?

Ni Claude Lorius ni moi-même ne sommes écologistes ou décroissants. Mais de la même façon, nous ne pouvons plus nous projeter dans un monde qui n'existe que dans la fuite en avant et la consommation comme art de vivre. Lorsque Claude, jeune explorateur, a hiverné - un an "enterré volontaire" - avec deux compagnons dans les glaces de l'Antarctique en 1957, il n'a pas seulement accompli une première, il a aussi découvert "le confinement" et la solidarité. Cette Terre a ses limites, nous devons y vivre tous ensembles, et avec elle. L'anthropocène ce n'est pas l'air de la sagesse, c'est l'ère de l'obligation de sagesse.

Samir : Pourquoi les nations mettent tant de temps à démocratiser la voiture électrique?

Ce qui est très intéressant dans toutes vos questions c'est que l'on retombe sur des questions extrêmement techniques qui racontent une chose: l'espoir d'une solution liée au génie humain. La voiture électrique peut-elle nous sauver? J'en doute personnellement. Vous savez, l'homme qui a le premier vulgarisé le terme d'anthropocène s'appelle Paul Crutzen, et dans le même temps qu'il pointait du doigt le problème, il appelait à des investissements en géo-ingénierie. La géo-ingénierie c'est justement cette idée que la science va nous sauver. On va mettre des millions de miroirs dans le ciel pour renvoyer les rayons du soleil en trop, on va mettre des aspirateurs à CO2, ou du fer au fond de la mer pour faire proliférer le plancton, gros consommateur de CO2... C'est l'histoire de l'anthropocène, depuis la révolution industrielle l'homme a fait du culte de la science sa nouvelle religion. Mais pas plus elle qu'un quelconque dieu ne viendra nous sauver. C'est à nous de prendre en main notre destin.

Lolo : Avoir Claude comme prénom, c'est le seul point commun entre Lorius et Allègre?

Non, je pourrais aussi vous dire qu'ils sont aussi tous les deux de grands scientifiques, membre de l'Académie des sciences. Mais ce qu'ils partagent avant tout c'est d'habiter cette Terre et d'en être ensemble, comme vous, comme moi, à la fois ses destructeurs et ses gardiens. Ce peut être lourd à porter, ce peut être aussi quelque chose de très enthousiasmant, non?

Polémik : Que pensez-vous des théories de Claude Allègre?

Il n'y a pas de théorie de Claude Allègre. Personne à ma connaissance dans la communauté scientifique n'a jamais nié l'impact du soleil sur le climat de la Terre. En revanche, la nouveauté, qui est celle de l'anthropocène, qui est liée aux découvertes de Claude et de ses équipes dans les glaces de l'antarctique, c'est que vient se greffer là-dessus, une toute petite chose, l'homme, qui est venu déréglé un mécanisme bien connu, celui de l'effet de serre, qui permet à la vie d'exister sur Terre, à un certain équilibre. Or l'équilibre est en train de se rompre. Il ne faut pas se tromper de débat...

Kestion : Bonjour, Quelle est la part de la responsabilité de l'Homme dans "l'ère de l'anomalie"? Importante? Minime?

Comme je l'ai dit, elle est primordiale. Qui dérègle le climat? L'homme devenu depuis l'invention de la machine à vapeur un mangeur d'énergie. Qui pompe les sols de ses ressources? L'homme. C'est au moment où il n'y a plus de pétrole que l'homme commence véritablement à s'inquiéter, pas lorsqu'il voit le climat se dérégler. Qui modifie la biosphère ? L'homme. Au point que les zoologistes parlent aujourd'hui de "sixième extinction"...

Pierre : J'aimerais savoir si Claude Lorius a proposé à notre mammouth national d'aller jeter un oeil là-bas afin que M. Allègre constate enfin l'énormité de ses mensonges.

Claude Lorius a l'occasion de croiser Claude Allègre sur les rangs de l'Académie des sciences, mais notre sujet ici n'est pas polémique. Qui sommes-nous pour donner des leçons? Nous aimons cette Terre et nous l'avons aimé telle quelle est avec pépins ou noyaux. La question n'est pas de débattre sans fin sur la véracité du dérèglement climatique mais de proposer une nouvelle façon de regarder la question, c'est le sujet de notre "Voyage dans l'anthropocène".

Arnaudb : Ne pensez vous pas que les grandes multinationales de l'énergie actuelle ont tout intérêt à freiner voir empêcher les travaux sur les combustibles alternatifs? L'hydrogène semble un bon candidat, avec un procédé accessible à tous, partout sur la planète avec pour seul besoin de l'eau et de l'électricité. Pourquoi si peu d'engouement et de médiatisation au tour de ces recherches?

Vous avez raison. Le rôle des entreprises est primordial dans tout ça. L'intérêt économique est un moteur à hydrogène ! Je vous renvoie à un livre Capitalisme et pulsion de mort qui devrait vous passionner.

Mais reposons la question du début qui nous permettra de conclure: qu'est-ce que l'anthropocène? L'Anthropocène, c'est l'histoire d'une accélération. C'est deux cent ans où les courbes positives (croissance économique, santé, éducation...) et négatives (pollution, nombre de morts dans les guerres, bombes atomiques...) explosent. C'est deux cent ans où la règle devient la rapidité, la force, l'énergie. Les énergies alternatives aujourd'hui ne se marient pas encore avec cela. Les gens veulent des voitures qui ont une propulsion forte au démarrage, des ascenseurs qui grimpent cent étages en quelques secondes... Cette vision du monde est celle qui nous habite, qui habite les gens comme vous et moi, ni plus cons ni plus moches mais avec les mêmes désirs inassouvis de puissance qui peuplent le monde des entreprises et du pouvoir. Lorsqu'on se met à investir dans l'éolien, ce n'est pas parce qu'ils se sont convertis mais parce qu'ils y ont vu l'occasion d'un investissement profitable. L'hydrogène, on n'a pas résolu les questions d'explosion.

Le solaire? Oui pour envahir le Sahara pas la Beauce. Et il suffit qu'on trouve du gaz de schiste dans les sous-sols cévenols pour que toutes nos bonnes résolutions de diminution des émissions de gaz à effets de serre s'évanouissent comme neige au soleil. Les coupables ne sont donc pas à chercher ailleurs, dans les entreprises, les états, etc. Mais en nous-même dans ce mode de pensée qui nous gouverne. La prise en compte de l'anthropocène c'est en finir avec la toute-puissance, c'est la fin de l'exception humaine.

Samir : J'ai entendu que si le réchauffement climatique continu à la même vitesse, dans 100 ans une partie de la Bretagne et Marseille seraient englouties dans la mer à cause de la montée du niveau de l'eau. C'est vrai?

Tout cela est bâti sur des projections et des modélisations. Et celles-ci varient énormément. Personnellement, je serais vous je ne vendrais pas encore mon appartement, mais c'est vrai que si l'on continue à faire comme si de rien n'était nous courrons dans le mur. Tornby disait: "les civilisations ne disparaissent pas par meurtre mais par suicide".

Climatoto : En cas de montée des eaux, est-ce que la Bretagne disparaîtra? Si oui quand?

Je ne suis pas druide, mais pourvu que les dieux nous laissent les monts d'Arrée!

TV addict : Que pensez vous de l'émission Man versus Wild?

J'avoues ne pas connaître. Mais la question de notre relation à la nature est vieille comme l'écologie. Entre Gifford Pinchot et John Muir, les deux chefs de files ex-amis de la pensée environnementale US, le débat est depuis toujours sur des rails. Et pas tranché. J'avoue que personnellement je pense du côté du deuxième et me méfie de l'évaluation monétaire des services des écosystèmes dont on parle beaucoup ces jours-ci...

Source : Julie Saulnier, L'Express.fr, publié le 14/01/2011



N.D.L.R


L’homme est en train de détruire la planète, c’est sûr, et les contre-vérités de M. Allègre, dinosaure en voie d'extinction, n’y changeront rien.

Mais quel homme ? Vous et moi, bien sûr, qui participons à cette destruction. Non en prenant trop de douches, mais en acceptant le mode de vie dément que l’on nous impose. Notre responsabilité dans cette fuite en avant ne fait pas de doute. Mais si nous sommes responsables nous ne sommes pas pour autant le vrai coupable.

Le grand coupable c’est quand même, comme toujours, le fric, à savoir le capitalisme financier qui règne sans partage depuis des décennies. Et en premier lieu les Etats Unis, bien sûr, qui freinent des quatre fers toute avancée écologique majeure.

Le monde arabe fait actuellement sa révolution, dans le sang et dans les larmes.

Que faisons nous, dans les pays occidentaux, pour mettre un terme à cette course infernale vers la destruction finale ?

Rien ! Ou si peu. On va voter Hulot ou Joly, ou Dsk, candidat socialiste (!) à la tête de l’organisme qui participe mondialement et très efficacement à la mise en place du système qui va détruire la planète, ou, horreur suprême : Sarkozy ?

Pauvre planète !


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