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6 février 1948/Francis Ponge, Pochades en prose

Par Angèle Paoli
Éphéméride culturelle à rebours Sidi-Madani, 5 et 6 février 1948.


ACCUEIL ET GENTILLESSE ARABES

― (Au printemps de février en Afrique du Nord). ― Il y a certainement une gentillesse arabe, quelque chose ! dans l’accueil et le sourire de ces gens… ! Et naturellement, surtout chez les femmes et les enfants, et aussi chez les simples paysans. Une joliesse et une grâce, fort souvent accompagnées de malice, de vivacité, d’enjouement : un sourire ou un fou rire un peu timide d’être ainsi saisi sur le vif, touché à vif. Quelque chose dont on ne peut s’empêcher, quelque chose de non commandé, qui s’échappe, qui bondit malgré eux. Quelque chose de caché, de soigneusement (et fort gracieusement) drapé, qui se livrerait volontiers, qui se livre, qui ne se découvrirait pas volontiers, mais qui est content, ravi, avide qu’on le devine, qu’on le soupçonne. Et le regard des femmes voilées appelle à cela. Ces femmes sont des lampes. Rien n’est si appelant que la flamme.
  À la campagne, brusquement sur le seuil de portes, ces femmes non voilées qui apparaissent et se cachent aussitôt, ravies, en souriant. Cela ne dure pas beaucoup moins que la floraison des arbres fruitiers. […]
  Gentillesse et côté avenant, accueillant, de ce qui est soigné, préparé par les femmes : les maisons, la cuisine. Maisons et potagers ― vergers dans les campagnes ― le chez-soi est joli et paré (dans la plus grande simplicité et pauvreté). Vergers fleuris au printemps.
  Il brille partout dans la campagne, le blanc de chaux des maisons derrière la haie de cyprès. Oh ! les jolis nids ! Petits mignons villages, petites maisons blanches, petits mignons yeux et pieds des femmes. Jolis orteils brillant dans la montagne, maisons et marabouts. On n’en voit que l’œil ou l’orteil (la cheville, les mains, une main).
  Rapport entre œil et orteil. Petits oignons.

  Le fard, le charbon sous les yeux est comme le charbonnement de la mèche sous la flamme (de la lampe). Nécessité du fard. Et le rose aux joues c’est la surface proche sous l’abat-jour, que la lampe éclaire. (La chair qu’il s’agit d’éclairer, qui est ce qui est à offrir, à consommer, à manger : la partie comestible, le repas servi, la nourriture offerte.)
  Oh tu es ainsi comme une table servie, sous la lampe ! Mais table qui répond, est happée, se colle, est aimantée vers vous, contente, ravie d’être mangée et qui participe ainsi au festin… et nous l’aimons pour son goût du sacrifice. Et les fruits se multiplieront sur la nappe, parce que nous aurons ainsi pris le premier festin ensemble !
  Ainsi de même des vergers fleuris.

   À propos de rose (incarnat) du Sahel, parler du (ou de la) rose (rouge) de confusion ; de la confusion du sang, du ciel, des veines ; de la confusion des couleurs (profusion, confusion), carnation, incarnation, ongles.

Francis Ponge, Pochades en prose, Méthodes, Éditions Gallimard, 1961 ; Collection Idées, 1971, pp. 93 à 96.


Voir aussi :
- (sur Terres de femmes) 29 mars ****/Le Verre d’eau de Francis Ponge.



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