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tout public, d'Antoine Boute (par Eric Clémens)

Par Florence Trocmé

A rebrousse-poils 

Boute tout public
Qui s’embarque dans la lecture cahoteuse du dernier livre d’Antoine Boute, Tout public (216 pp., éd. Les petits matins)  se sent d’abord balloté au milieu des récifs, je veux dire des récits à la Laurence Sterne. Mais très vite cette impression d'enchâssements est submergée par une adresse perpétuelle au lecteur et des horreurs jubilatoires quoiqu'en même temps décalées, qui inscrivent son texte dans la lignée rarissime de Lautréamont : écrit « pour tous et pour personne », « beau comme », monstrueux dans le fracas d'un rire ! 
 
L’ensemble met en scène une « cruauté-lèvre » jusqu'au suicide, une angoisse très contemporaine, mais qui transforme - et sans ménager les inventions de formes ! - ce qui ne serait qu'un nihilisme générationnel (« la démesure du désastre ») en fête communautaire, hallucinée et orgiaque (« le désir serait de pouvoir toucher »), sans même céder à l'un comme à l'autre ! 
 
Car le plus incisif de ce livre - accroché certes à notre époque par tout ce qu'il manipule de tensions, jouissance hyper-individuée devenant hyper-individise à travers machines, drogues, débauches, plus fictivement « expérimentales » les unes que les autres -, ce qui le rend décisif, donc, c'est qu’il nous prend sans cesse, nous, ses lecteurs, ses semblable (ses « frères » aurait encore dit Lautréamont, sans oublier, bien sûr, ses « sœurs » !),  à rebrousse-poils ! Et à rebrousse-poils dans tous les sens : des clichés grand public, des formalités élitistes, des malaises et des dépressions, des tentations parodiques (Guyotat tourné court), des genres convoqués au tribunal des flagrants délires (le poétique : la mise en vers sans le moindre effet lyrique, le narratif : les rebondissements sans autre liaison que la cocasserie, le philosophique très  logique : digne des spéculations les plus allemandes, le graphique même : grouillant de lettres perdues…). 
 
Ce « pornolettrisme », sous la figure en passe de devenir mythique sur le net où elle sévit, Ariane Bart, se prend lui-même à rebrousse-poils - il ne tombe pas dans le dadaïsme -  et je crois que là réside son impact : son style - cet excès du sens - précipite l'écart dans la chute !  
 
Antoine Boute, sismographe d’une génération, renverse les idoles branchées du désespoir en performance burlesque et poignante. 
 
[Eric Clémens] 
 


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