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Alejandra Pizarnik, Jeu tabou, une traduction inédite de Magdalena Cámpora et Mariana Di Ció

Par Florence Trocmé

JEU TABOU 
Avant tout, une tache rouge, d’un rouge faible mais pas sombre, ni même opaque. La tache figure un chapeau rouge qui s’insère dans la couleur sable humide du sol fait de trois planches de bois.  
L’ensemble – chapeau rouge et bois ocre – reluit comme la mante de la Vierge dans l’ombre de certaines églises. Éclat médiocre qui resplendit grâce à l’obscurité voisine. 
Le propriétaire inconnu du chapeau pourrait être un enfant qui, penché à une fenêtre, joue avec un masque. Il n’est pas non plus improbable que quelqu'un, un autre enfant, ait fui l’endroit pour ne pas voir la scène de la fenêtre. Dans la fuite, il aurait laissé tomber son chapeau ; la tache rouge qui est là, près de la fenêtre, serait ainsi le chapeau d’un absent qui craint l’enceinte dont l’emblème est la conjonction d’Eros et de la mort. 
Les planches de bois et la tache rouge reluisent dans un premier plan désert avec des signes d’absence. Il s’agit de toute évidence d’une annonce de l’autre et véritable premier plan, à savoir, l’intérieur visible par la fenêtre, où brille une lumière à peine suffisante pour éclairer une scène signée par le secret le plus ambigu. Le cœur de l’espace est ici la fenêtre d’une chaumière en ruines. 
La scène réunit quatre personnages d’enfants dans une toute petite enceinte délimitée par un cadre obscur. Le couple du fond s’emploie à des jeux érotiques. L’enfant, si flou qu’il semble dépourvu de traits, appuie sa belle main près du pubis de sa camarade qui se trouve en plein milieu d’un saut érotiquement ambigu. Elle aussi, mais bien plus que l’enfant, manque de figure. Un voile blanc semblable à celui d’une religieuse lui cache le visage et les cheveux. Cette fille peu visible, mais qui n’est en rien mystérieuse, évoque une certaine image de la mort avec un voile blanc qu’on appelle la voilée.  
Il y a un autre garçon et une autre fille devant ce joyeux couple. Le garçon semble vouloir coller à son visage un masque qui représente un visage viril, adulte et mort. La main du garçon, occupée à fixer le masque sur son visage, est ignoble et en harmonie avec le masque, un peu morte. Le garçon lutte avec le masque, son but visible est de s’approprier l’aspect d’un mort ou, ce qui revient au même, de la mort. En même temps, sa main qui est presque morte atténue l’impression d’effort violent. Non, l’enfant ne frémit pas paroxystiquement pour se masquer de mort ; il veut seulement maintenir le masque fixé à son visage. Mais aussi, et avant tout, il semble que son souci consiste à voir ce qu’on peut voir au travers, comme si les yeux absents du masque étaient d’un autre monde. Et ils le sont, en effet. Plus encore, les orbites vides et noires sont le premier signe de la mort que montre ce masque trivial et terrifiant. 
A côté du garçon masqué, il y a une fille livrée à une contemplation indéfinissable : elle regarde au dehors comme le ferait un animal. Son petit visage est laid, il ressemble à celui d’une jeune morte. Dotée d’une sérénité bestiale, elle se montre tout à fait indifférente à son petit voisin.  
Les quatre enfants émergent d’une obscurité dense, consistante, au point qu’on penserait pouvoir couper toute cette ombre avec un couteau.  
L’obscurité n’est pas noire. Couleur d’ombre d’un vieux mur et à la fois couleur inoffensive qui se laisse envahir par les couleurs des quatre êtres minuscules. Le bleu, le lilas, le vert, le carmin et le blanc dominent une obscurité qui règne pour dévoiler les couleurs des petits visiteurs de la ruine.  
L’origine de la lumière est l’endroit extérieur que ne cesse de regarder la fille au visage d’animal lumineux. Le masque de mort brille comme un soleil. Et pas très loin, il y a l’étrange lumière de la tache rouge qui serait le chapeau d’un supposé fugitif.  
Plus que la lumière, ce qui perturbe est la fusion du mouvement (les enfants lascifs) et du calme (le geste paroxystique de l’enfant au masque semble avoir été sculpté ; il y a la même immobilité dans les yeux de poupée de sa voisine). Les traits du masque sont impassibles et tendus, comme dans une scène d’immobilité démesurée. Les lèvres du masque sont le signe distinctif d’une sensualité frénétique et inutile. On peut se demander pourquoi se manifestent des furieux désirs concentrés sur ces lèvres, puisqu’il est fort probable que l’enfant poussera des cris à travers elles pour faire peur à ses camarades. 
Les lèvres du masque, ou le nez hors du commun, ou sa couleur lie-de-vin, sont des figures insuffisantes par rapport aux yeux, orbites vides, creux noirs. À travers eux tout entre et tombe dans l’absence. À cause de ces trous noirs, le masque est identique à celui du visage d’un mort, qui est identique à celui d’un masque. Et c’est avec ce masque qu’un enfant veut couvrir, avec une incompréhensible ardeur, son visage vivant. Il ne veut pas se cacher derrière le visage d’autrui,  mais derrière un visage caché en lui-même.  
Peut-être que l’enfant du masque a vu ses camarades et ne les a pas approuvés, et a décidé, en conséquence, de disparaître et de devenir le masqué, le voilé, le larvé. Il s’est déguisé en démon de la mort. Soit par erreur, soit pour acquérir du pouvoir. En tout cas, c’est une terrifiante figure condamnée à la solitude perpétuelle. 
 
Alejandra Pizarnik, traduction inédite de Magdalena Cámpora et Mariana Di Ció 

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JUEGO TABU 
Ante todo una mancha roja, de un rojo débil pero no sombrío y ni siquiera opaco. La mancha configura un sombrero colorado que se inserta en el color arena húmeda del suelo compuesto por tres tablas de madera.  
El conjunto – sombrero rojo y madera ocre – relumbra igual que en algunas iglesias umbrosas el manto de la Virgen. Fulgor mediocre que resplandece por obra de la oscuridad vecina.  
El desconocido dueño del sombrero podría ser un niño que, asomado a la ventana, está jugando con una máscara. Tampoco es improbable que alguien, otro niño, huyera del lugar a fin de no ver la escena de la ventana. En la fuga habría dejado caer su sombrero, y así, la mancha roja que está más acá de la ventana sería el sombrero de un ausente temeroso del recinto cuyo emblema es la conjunción de Eros y la muerte.  
Las tablas de madera y la mancha roja relumbran en un primer plano desierto con señales de ausencia. Se trata, evidentemente, de un anuncio del otro y verdadero primer plano, o sea el interior visible por la ventana, en donde brilla una luz apenas suficiente para iluminar una escena signada por el ocultamiento más ambiguo. El corazón del espacio es, aquí, la ventana de una choza en ruinas.  
La escena reúne cuatro personajes infantiles en un recinto diminuto delimitado por un marco oscuro. La pareja del fondo se entrega a juegos eróticos. El niño, tan borroso que aparece despojado de rasgos, apoya su hermosa mano cerca del pubis de su compañera, la que se encuentra en medio de un salto eróticamente ambiguo. También ella, pero más aún que el niño, carece de figura. Una toca blanca, semejante a la de una religiosa, le oculta la cara y los cabellos. Esa niña poco visible aunque nada misteriosa evoca cierta imagen de la muerte con velo blanco que llaman la velada.  
Otro niño y otra niña hay delante de esa alegre pareja. El niño parece querer adherir a su cara una máscara que representa un rostro viril, adulto y muerto. La mano del niño, ocupada en fijar la máscara a su rostro, es innoble, y en armonía con la máscara, algo muerta. El niño forcejea con la máscara con el visible fin de apropiarse del aspecto de un muerto o, lo que es igual, de la muerte. A la vez, su mano casi muerta atenúa la impresión de forcejeo violento. No, el niño no se estremece paroxísticamente para enmascararse de muerto; sólo quiere mantener la máscara fijada a su rostro. Pero también, y sobre todo, parece que su afán consiste en ver qué se ve a través de ella, como si los ojos ausentes de la máscara fueran de otro mundo. Y lo son, en efecto. Y más aún: las vacías órbitas negras son el primer rasgo de muerte que muestra esa trivial y aterrante máscara.  
Al lado del pequeño enmascarado hay una niña entregada a una contemplación indefinible: mira el afuera como lo miraría un animal. Su carita es muy fea, se parece a la de una joven muerta. Dueña de una serenidad bestial, se muestra del todo indiferente a su vecinito.  
Los cuatro niños emergen de una oscuridad densa, consistente, al extremo de creer posible cortar con un cuchillo tanta sombra.  
La oscuridad no es negra. Color de sombra de una pared vieja y, a la vez, color inofensivo que acepta la invasión de colores de los cuatro minúsculos seres. El azul, el lila, el verde, el encarnado y el blanco dominan una oscuridad que reina para revelar los colores de los pequeños visitantes de la ruina.  
La luz es originaria del lugar exterior que no cesa de mirar la niña de cara de animal luciente. La máscara de muerto brilla como un sol. Y no lejos, hay la extraña luz de la mancha roja que sería el sombrero de un presunto fugitivo.  
Más que la luz, perturba la fusión de movimiento (los niños lascivos) y de quietud (el gesto paroxístico del niño de la máscara aparece como esculpido; la misma inmovilidad hay en los ojos de muñeca de su vecina). Los rasgos de la máscara son impasibles y tensos, como si integraran una escena de inmovilidad desmesurada. Los labios de la máscara son el signo distintivo de una sensualidad frenética e inútil. Cabe preguntarse para qué se manifiestan los furiosos deseos resumidos en esos labios, si lo más probable es que el niño emitirá gritos a través de ellos para asustar a sus compañeros.  
Los labios de la máscara o la nariz descomunal o su color borra de vino son figuras insuficientes en comparación con los ojos, órbitas vacías, oquedades negras. Por ellos todo entra y cae en la ausencia. Por esos huecos negros, la máscara es idéntica a la del rostro de un muerto, el cual es idéntico al de una máscara. Y es ésta la máscara con la que un niño quiere cubrir, con ardor incomprensible, su cara viviente. No es que quiera ocultarse detrás de un rostro ajeno sino detrás de un rostro ocultado en sí mismo.  
Tal vez el niño de la máscara ha visto a sus compañeros y no los aprobó, y decidió, por tanto, desaparecer y convertirse en el embozado, el velado, el larvado. Se disfrazó de demonio de la muerte. Sea por error, sea para adquirir poder. De cualquier forma, es una aterradora figura condenada a la soledad perpetua.  

Alejandra Pizarnik, Prosa completa, Barcelona, Lumen, 2003, pp. 64-66. 
 


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