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Fumer comme un charpentier Renard Libre, Joyeux et Indépendant ?

Par Jean-Michel Mathonière

Fumer comme un charpentier Renard Libre, Joyeux et Indépendant ?

Un groupe de charpentiers Renards Libres, Joyeux et Indépendants autour de leur hôtesse. Siège de Dijon, 1910.

Les "Renards Joyeux, Libres et Indépendants sur le beau Tour de France" constituaient une association de type compagnonnique (quoique hostile aux compagnons Soubises et Indiens), dont l'histoire reste à écrire. On sait que sous le nom de "renards" sont désignés tous les ouvriers charpentiers qui ne sont pas passés compagnons, et que ce terme englobe donc aussi bien ceux qui veulent l'être (les aspirants), que ceux qui s'y refusent (les indépendants).

Ils sont attestés en tant que groupement parallèle aux compagnons dès la fin du XVIIIe siècle et qu'en 1791, à Paris, ils demandent aux autorités d'empêcher les Bons drilles de leur nuire.

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On les retrouve un peu partout tout au long du XIXe siècle et ils semblent se structurer en deux groupes. D'une part, une fraction parisienne tend à se former en compagnonnage en se plaçant sous la bannière de Salomon. Ils sont qualifiés de "Renards de Liberté", assurément par les Soubises, mais sans doute par eux-mêmes également, jusque dans les années 1830. Puis ils revendiquent le titre de "Compagnons charpentiers du Devoir de Liberté" et se constituent un corpus de rites et de symboles largement empruntés à la franc-maçonnerie (notamment celle du rite égyptien de Misraïm, qui était très ouverte aux couches populaires de la société). Leur mythologie, qui situe leur origine en Egypte et aux Indes, berceau de la civilisation et de la lumière solaire (l'orient), les fait appeler "Indiens".

En somme, ces renards réintègrent dans leur vocabulaire les mots rejetés initialement de "compagnon" et de "Devoir" selon un processus observé à propos d'autres groupements para-compagnonniques (comme les sociétaires boulangers ou "rendurcis" qui deviennent peu à peu des compagnons boulangers du Devoir de Liberté).

Une affirmation répétée situe la naissance des Indiens en 1804 mais ce point demanderait à être vérifié.

Une autre fraction de renards a souhaité demeurer indépendante du Compagnonnage. Ils sont connus à partir des années 1880 comme "Renards Joyeux, Libres et Indépendants sur le beau Tour de France" (R.J.L.I.). Ils adoptent le blason des compagnons charpentiers Soubises et Indiens (compas, équerre et bisaiguë), confectionnent des maquettes de charpente, participent à des expositions professionnelles, enseignent le trait, mais ne portent pas de couleurs ni de cannes (quoique Jean Philippon ait découvert une photo d'un groupe de renards lyonnais avec des cannes à cordelières qui ressemblent comme deux gouttes d'eau à celles des compagnons ; mais cela semble un cas isolé, car les photographies de groupes des années 1880-1910 n'en montrent pas).

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Deux charpentiers Renards Libres, Joyeux et Indépendants autour de leur hôtesse,
avec des cannes de type compagnonnique. Lyon. Coll. Jean Philippon.

On ignore s'ils pratiquaient un rite d'intégration au groupe, mais il est vraisemblable qu'il en existait un, même dépourvu d'épreuves et de symboles, car il est bien rare que l'admission d'un nouveau membre ne soit pas formalisé par des libations collectives, un serment, voire quelque farce aux dépens du futur confrère.

On les voit presque toujours poser autour d'un panneau orné de leur blason et de la date de leur fête (qui ne coincide pas toujours avec la St-Joseph), des chefs-d'oeuvre, des renards empaillés. A une époque indéterminée ils ont usé de surnoms analogues à ceux des compagnons, mais beaucoup plus burlesques, comme par dérision ("Poitevin l'Ami des Filles, la ruine des filles, le tombeau des mastroquets, le coeur des femmes" ou "Le vampire des singes, le pépin de la grappe, le froufrou du cotillon"). Comme les compagnons, ils établissent leurs sièges dans des hôtels-restaurants et qualifient la tenancière d' "hôtesse" mais aussi de "mère".

Ils affectent volontiers une tenue débraillée et des attitudes relâchées, qui tranchent avec celles des compagnons photographiés lors des Saint-Joseph, en costume et haut-de-forme, canne et couleurs, bien droits devant l'objectif. Les renards sont "libres" au sens "libertaire" du terme, volontiers anarcho-syndicalistes comme il y en avait beaucoup chez les ouvriers charpentiers de la fin du XIXe et au début du XXe siècles (relire Le Pain quotidien d'Henry Poulaille).

Insoumis devant leurs singes (patrons), ils semblent s'être fait une gloire de vider les litres comme en témoignent plusieurs photos, telle celle qui nous a été aimablement confiée par le compagnon tapissier D.D. Gérard Jaunet.

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Un groupe de charpentiers Renards Libres, Joyeux et Indépendants sur un chantier. Coll. Gérard Jaunet.

Au tournant des XIXe et XXe siècles, ils avaient des sièges à Paris, Dijon (photo en tête d'article), Lyon, Marseille, Tours, et sans doute dans la plupart des autres grandes villes de France.

Ils ont décliné durant l'entre-deux-guerres mais avaient encore quelques sièges (dont celui de Lyon) dans les années 1950.

L'une des photos illustrant cet article représente un groupe de ces renards posant à Marseille en 1906. Le panneau à leurs pieds nous apprend qu'il s'agit d'une réunion honorant la "classe 1905" : "Souvenir du Tour de France / Marseille 19 février 1906 / Honneur à la classe 1905".

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Un groupe de charpentiers Renards Libres, Joyeux et Indépendants. Marseille, 1906.

On remarquera que le charpentier debout, tout à droite, porte un largeot vraiment... très large !

Un détail nous a intrigué : sur les 22 renards, 11 tiennent à la main une cigarette, un cigare, un fume-cigarette et même, semble-t-il, en ce qui concerne le personnage à l'extrême gauche, un morceau de papier censé figurer une cigarette.

S'agirait-il d'une sorte de marque distinctive ? On peut se le demander au vu des cartes de visite de R.J.L.I., qui toutes comportent l'image d'un renard courant et fumant la pipe. Et l'on sait que dans plusieurs sociétés compagnonniques, il existait des rites liés à l'usage du tabac (à fumer ou à priser).

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Quelqu'un aurait-il des informations à partager à ce sujet ?

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L'homme pense parce qu'il a une main. Anaxagore (500-428 av. J.-C.)


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