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La Pivoine de Cervantès et autres proseries, de Lambert Schlechter (par Jean-Pascal Dubost)

Par Florence Trocmé

Schlechter 73 textes en prose, courts. Un livre qui eût pu se titrer, mais le titre existe déjà, d’un philosophe allemand, qu’évoque Lambert Schlechter, Dolf Sternberger, qui eût pu, donc, se titrer « Petites perceptions » ; et probablement, parce qu’il est un grand lecteur et philosophe de formation, probablement que la théorie des petites perceptions de Leibniz, assavoir qu’il faille prendre conscience des petites quantités insinuées en soi pour définir un tout ( : «  D’ailleurs il y a mille marques qui font juger qu’il y a à tout moment une infinité de perceptions en nous, mis sans aperception et sans réflexion, c’est-à-dire des changements dans l’âme même dont nous ne nous apercevons pas, parce que les impressions sont ou trop petites et en trop grand nombre ou trop unies, en sorte qu’elles n’ont rien d’assez distinguant à part, mais jointes à d’autres, elles ne laissent pas de faire leur effet et de se faire sentir au moins confusément dans l’assemblage. C’est ainsi que l’accoutumance fait que nous ne prenons pas garde au mouvement d’un moulin ou d’une chute d’eau, quand nous avons habité tout auprès depuis quelque temps », Nouveaux essais sur l’entendement humain, 1704), probablement que Lambert Schlechter garde en tête la leçon du philosophe allemand. L’écriture alors devient un bel exercice de remontée mémorielle, d’attention à ce qui fabrique le grand assemblage disparate qu’il célèbre à longueur de livres, et qui paraîtrait quasi scandaleux, au regard des pessimistes et des catastrophistes, de célébrer : la vie. Les proseries ci-présentes, ainsi que par ailleurs (La Trame des jours1 par exemple) attestent d’une gourmandise et d’une avidité sans mesure : après avoir frôlé l’acédie2, Lambert Schlechter empoigne la vie d’écrire à pleins bras, à pleines mains (si on peut dire… tant les caresses érotiques lui demeurent essentielles), et ne cesse de se réjouir de ses lectures3, des brièvetés vues, des femmes et de leur sexe, de s’en régaler, de le dire-écrire, de déployer belle énergie dans le fil des jours, émerveillé et fabuleusement, de façon revendiquée. Un voluptueux ? Probablement qu’oui ; un fou de la vie, un jouisseur et bandeur terrestre. Explorateur du vivre. Ces proseries n’ont pas la forme diariste, mais s’en rapprochent, sont des « choses du jour », ou des « choses qui » (Sei Shonagon) auront été perçues lors d’une journée souvenue. L’écriture va simple, au gré de l’humeur et de la fantaisie, vient après, et avec, Montaigne, Robert Walser et Eugène Savitzkaya (celui du Fou civil), et sensuellement, sur la pointe de l’humour. Et si l’âge avançant lui pèse, il ne cesse de garder la candeur de l’enfant mêlée à la malice du vieillissant, car Lambert Schlechter a décidé de vivre, pour écrire. 
 
[Jean-Pascal Dubost] 
 
Lambert Schlechter, La Pivoine de Cervantès et autres proseries, La Part Commune, 2011, 160 p., 15 € 
 
 
1 Éditions des Vanneaux, 2010. 
2 Lire Le Silence inutile, La Table Ronde, 1996. 
3 Il publie concomitamment Les Repentirs de Froberger, à La part des anges, des quatrains biographiques, ou épitaphes, consacrées à son panthéon d’hommes illustres, accompagnés de dessins de Nicolas Maldague, qui sont des illustrations des poèmes, assavoir qu’ils sont des équivalences dessinées, quel intérêt ? 


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