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Le feu de la Méditerranée

Par Memoiredeurope @echternach

Le feu de la Méditerranée

« En rentrant du cimetière où il venait d’enterrer son père, Mohamed sentit que le fardeau qu’il portait s’était alourdi. » Ce sont les premiers mots de l’hommage triste et précis que Tahar Ben Jelloun a consacré à ce jeune tunisien qui, le premier, a décidé à la fin de l’année passée de s’arroser d’essence et de flamber. Une protestation qui vaut par l’exemple. Il n’est pas le premier dans l’histoire récente. Mais il représente le maillopn d'une chaîne et il a, à son tour, suscité des gestes comparables. En un sens, il s’est indigné jusqu’à ce que sa lassitude devienne extrême. Et que son geste soit extrême.

Il apparaîtra ainsi dans l’histoire des protestations devenues révolutions, comme le symbole d’une Tunisie en fin de parcours, d’une Egypte mourant dans la langueur de ses enfermements et de ses archaïsmes, de la Lybie et de la Syrie alignant les adultes morts après les charges de police ou les tirs de missile. Il apparaîtra même comme le symbole de tous ceux à  qui on avait dit : « Etudiez » et qui se retrouvent plongés dans un monde où la force du pouvoir, petit ou grand, vaut plus que la connaissance. Et cette fois, tout autant en Israël qu’en Espagne ou en Italie et en Amérique du Sud.

« Il sortit son vieux cartable caché dans l’armoire à linge, le vida de tous les papiers et documents qu’il contenait, y compris l’attestation de son diplôme. »

Tahar Ben Jelloun nous avait parlé des prisons du roi, au Maroc cette fois. Il avait recréé le témoignage de l’un de ceux qui avaient dû apprendre à ne compter que sur le chant des oiseaux pour savoir que, au-delà des murs, la vie existait encore. L’écrivain connaît la sorcellerie et la magie des sables. Il connaît les détours des allées des marchés. Il sait donc suivre tous les pas de Mohamed Bouazizi, dans les quelques semaines qui précèdent le 17 décembre 2010, le suivre avec sa charrette de fruits. Ici un obstacle, là un pourboire contre une autorisation incongrue, ici une arrestation musclée, plus loin un fruit prélevé par le policier qui représente la loi. Et à la fin, l’interdiction injustifiée. Il connaît par cœur le visage grimaçant des époux qui se sont installés dans le palais où tous les aspirateurs arrivent en collectant  l’ensemble de ces petites injustices, comme on collectait toutes les lettres dans le Palais de Rêves écrit par Ismail Kadaré.

Un jour donc, un 17 décembre, le feu remonte dans les tuyaux de l’aspirateur et enflamme le palais. Le Président viendra à côté du lit d’hôpital ; trop tard ! En s’enfuyant, le couple infernal, transmettra le feu à quelques collègues qui collectaient d’autres injustices entre leurs murs protecteurs.

On a nommé cela le printemps arabe ou bien encore la révolution du Jasmin.

Des photographes ont travaillé, ici également ; comme au Japon. Certains sont morts. Et grâce à eux, nous avons découvert des visages qui se tordent de la douleur qui immole d’un coup des millions de jeunes hommes qui ne savent plus, de jeunes femmes qui croyaient savoir, tous ceux qui se regardaient en tremblant dans les messages de sites communautaires. Qui réinventaient une communauté de délaissés.

Eux qui pensaient avoir vaincu, mais qui pourtant attendent encore.

« L’histoire de Mohammed n’appartient à personne ; c’est l’histoire d’un homme simple, comme il y en a des millions, qui, à force d’être écrasé, humilié, nié dans sa vie, a fini par devenir l’étincelle qui embrase le monde. Jamais personne ne lui volera sa mort. »

« Par le Feu ». Récit. Tahar Ben Jelloun. Gallimard 2011.

Photographie : SIPA


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