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Entretien avec Jean-Paul Klée, 3 (par Jean-Pascal Dubost)

Par Florence Trocmé

ENTRETIEN AVEC JEAN-PAUL KLÉE, 3  

Lire la première partie et la deuxième partie de cet entretien – un PDF de l’intégralité de l’entretien sera proposé lors de la publication de sa dernière partie.  
 
 
 
Jean-Pascal Dubost : De quoi est faite la langue que, pour imiter Franck Venaille, on appellerait le jean-paul klée ?  
 
Jean-Paul Klée : Mon dieu, ta question, cher Jean-Pascal, est d’une immense générosité !.. J’entends dire, à partir des Bonheurs d’Olivier (fin mai 2011), qu’il y a un ton, un style, une originalité…. Mais que puis-je en dire, de l’intérieur, étant à l’intérieur (& comme prisonnier) de cette musique, de cette abondance-là ?.... Tout ce que j’éprouve, pense, découvre, invente, se traduit en effet dans cette « langue-là », ce cadencé-là, cette frappe quasi-rimbaldienne remarquait Serge Brindeau (Panorama de la poësie française, Bordas) et Jean Breton me prédisait (& Yves Martin dans la revue Possibles) que l’originalité viendrait avec les années, ce qui à l’époque où il me le disait me semblait du chinois ; je n’avais autour de 1977 ni analyse de ma poësie, ni projet, pensant simplement que j'écrirai toute ma vie environ le même type de poësie, centré sur une demi-page seulement…. Ce qui m’étonne aussi, cher Jean-Pascal, c’est l’intérêt que tu as pris très tôt (ainsi que la très chère Valérie Rouzeau) à mes premiers recueils d’avant 1980 (voir ta vaillante revue de l’époque, Le Guide Céleste). Ni toi ni Valérie ni moi ne pensions que j’irais vers le poëme de plusieurs pages & surtout vers…. plusieurs milliers de ces poëmes-là !... Seul Yves Martin dans ce n° de Possibles évoquait une large (haute) destinée à venir…. Quel extraordinaire lecteur il fut !... J’ai souvenir de son étude sur Emmanuel LOCHAC, parue dans La Sape (à Montgeron) sur 15 ou 20 pages, un vrai bouquin, on en sortait bouleversé, nourri, satisfée !...
 
 
J.-P.D. : Peut-on parler d’une vie vouée à l’écriture, voire d’une vie de saint (jusque endurer le martyr pour l’édification d’icelle) ? Y a-t-il chez toi une mystique de l’écriture, sacrifice pour l’œuvre ?
 
J.-P.K. : Encore une question en or, merci !... Une vie vouée à l’écriture, bien sûr, mais vouée par défaut, impuissance d’autre chose, donc nécessité…. Sans doute, à l’automne 1955, ai-je choisi d’entrer dans le fabriqué d’un petit roman sur le Paris médiéval de Philippe-le-Bel (1304 ou 1305), l’histoire d’un orphelin (tiens donc), recueilli par un vieux musiqueur italien, Giovanni… Mais si je suis entré dans ce trüc-là de l’écriture, m’espérant à 12 ans ½ romancier, c’est qu’autour de moi c’était (la famille) tout à fée invivable (ma mère veuve ayant retrouvé un compagnon qui hélas n’était pas le beau-père qu’il nous aurait fallu à ma sœur & à moi)… Donc je tombai (me refügiai) dans ce lac enchanté-là de la littérature, ce miroir ni théologique ni biscornü mais quand même diablement cürieux & ambigü !... N’ayant qu’un seul ami (camarade) ni cousins ni oncles ni parrain ni grand frère, j’étais dans la gaucherie & la solitude, sauf les cours de la 6ème à la terminale…. On vivait, de ma 10ème à la 20ème année, dans un taudis à la Dickens, à l’ombre de la cathédrale de Strasbourg, quartier que nous quittâmes ma mère & moi vers l’été 1968 seulement. Je ne pouvais donc faire que de l’écritüre, vivre qu’en écrivant, coincé dans cet entre-deux-là (ni réalité ni rêverie), je me suis jugé « coincé » par elle bien plus tard (ce mot de coincé ne m’aurait jusqu’à il y a quelques années nullement convenu)…. J’écrivis de la poësie « moderne » à partir me semble-t-il de 1967 ou 68 (jamais je ne fis d’alexandrins ni de sonnets). Ma sœur en faisait.  
Vie de saint, what ?... On n’est pas saint parce qu’on a quitté l’Éducation (les collèges Pailleron),… ni qu’on aide les autres jour après jour, ni qu’on donne la pièce à tout mendiant qui se présente à votre vüe. Là aussi, cher Jean-Pascal, tu es follement généreux à mon sujet. Édifier la sainteté, j’ignore ce que c’est ?... S’engager, oui, exposer son salaire & aller jusqu’à la prison & perdre son emploi en faveur des collèges & lycées « Pailleron »4, oui, j’ai fait cela. C’était une résistance citoyenne. Fort loin d’une… sainteté. A plus juste titre, on parle de sainteté, de martyr s’agissant de mon père, qui fut dès le mois de juin 1940 résistant gaulliste. J’aime, j’adore la volupté, je suis dépensier ; peu ordonné…. Les saints ne jouissent pas ?... Ne mangent rien, ne dépensent rien ?... N’écrivent guère sur leurs états d’âme ?... hé ?...
Quant à me sacrifier pour (sic) mon œuvre, c’est involontairement que je le fée…. Je n’aime pas régler le concret, les factures, formulaire, taxes, impôts, organiser ni démarcher ni quémander ; de ma vie je n’ai téléphoné à un seul éditeur ni à un seul journaliste. J’aide mon ami Armand PETER à tenir sa petite librairie (rue Ste Hélène, à Strasbourg) le samedi après-midi & jamais je n’y donne mon nom ; jamais je n’y désigne un seul de mes bouquins, j’ai horreur de me mettre en avant, ça ne se fait pas…. Je ne me présente jamais comme « écrivain ». Sauf si quelqu’un par hasard me pose une question…. Mais les gens font si rarement des questions !... Le temps des diligences ou des manoirs est, hélas, révolu, où les braves gens se faisaient la conversation des heures ou des jours entiers…. L’époque est aux SMS, au passe-moi le sel & je te donnerai…. De ma vie entière je n’ai souvenir d’avoir une seule fois demandé un service (ou un peu d’argent) à un copain !.... J’ai horreur de me plier à demander quelque chose. Par contre les gens autour de moi ne se gênent pas de me demander ceci & cela…. Bonne poire, il est très rare que je m’entende leur refuser….
Tout cela pour confirmer que je ne sacrifie pas les « choses » de la vie à mon « œuvre » comme tu le dis…. Simplement je ne sais pas facilement faire autre chose que l’écriture (déménager ou voyager ou faire le ménage ou la cuisine), je suis comme tombé dans un TROU appelé POËSIE & je m’y complais jours & nuits, je n’ai pas décidé d’un sacrifice à…. Mais ne faisant quasi rien d’autre (jour à jour) que de la poësie, il se trouve que tout le restant est reculé, mis de côté, remis à je ne sais pas quand…. Je ne visite ni mes amis, mes cousins, mes neveux. Ne cültive rien, hormis ma mère, ma sœur & chaque jour Olivier Larizza, quand il est à Strasbourg. J’ai avec lui une relation très étroite, espérant qu’elle ne lui nuise en rien, qu’il puisse s’y nourrir & s’y développer !... Béni soit-il & le jour que je l’ai rencontré !... Dire que nous eüssions pu ne jamais nous rencontrer & aussi ne jamais savoir ce que nous pourrions découvrir & développer !... Je rêve ou quoi ?... Et dire aussi (du moins le dirait-il un saint) que tout homme sera toujours, selon moi, au-dessus de ce que le plus fort génie écrirait de lui : WH était bien au-dessus de ce que Shakespeare composa & le jeune Romain au-dessus de ce que Michel-Ange écrivit ?... Toi-même, Jean-Pascal, n’es-tu pas beaucoup plus fort & plus précieux qu’imaginé jamais tu ne l’as ?... Et cette pensée seule, si nous l’avions chaque jour, nous aiderait énormément ; à savoir que nous valions, chacune & chacun, 17 fois mieux que nous osions seulement l’espérer !!... Ça n’est ni angélisme ni… déification : simplement devenir tout le temps plus humain & plus fraternel. Pourquoi était-ce donc si difficile & si violent ?... Pourquoi étions-nous (la vie entière) si maladroit, silencieux, violent, dissimülé, amer, stratégique & compliqué ?... Ionesco je crois disait que les hommes dans la rüe devraient s’embrasser chaque jour en pleurant, au lieu de se …. dévorer tout crüs ou de baigner dans cette indifférence si difficile à soulever, écarter ou déchirer ….  
 
 
J.-P.D. : Le corps sexuel, érotisé, est maintes fois l’objet de tes poèmes ; tu revendiques l’impudeur sexuelle. La bandaison lyrique (Flaubert) est-ce cela qui transforme « l’énergie de la sexualité en énergie mentale » (Bernard Noël), en énergie poétique ?
 
J.-P.K. : Ta question, cher Jean-Pascal, mérite elle aussi un chapitre entier…. Je ne la comprends pas très bien…. Oui, bien sûr, l’érotisme me plaît beaucoup, j’en ai fort peu lü, hélas, ni Georges Bataille ni le « divin » marquis de SADE, ni les « 100 000 verges » d’Apollinaire ni Catherine Millet ni…. J’ai eü dans les mains Le Château de Cène de Bernard Noël & l’Histoire d’Ô…. de Pauline de Réage : très surfaits – tous les deux. Si ces deux-là sont des classiques de l’érotisme au XXe siècle, ça veut dire qu’en-dehors de Bataille, que je devine gigantesque,…. il n’y aurait personne ?... Y a-t-il au XXe siècle de la poësie érotique mascüline, je veux dire écrite par un ou des hommes ?.... Ça se saurait, non ?... Mon ami William Cliff a dans ses recueils l’un ou l’autre « érotique », mais la photo est rapide, allusive, furtive, assez frustrante…. J’aimerais plus de détails, de dialogues, de gros plans, de décors, un cadrage plus développé (ça ne se commande pas)…. C’est possible, je le sais. Publié fort peu d’érotiques, un peu le Journal du Fiancé (1985) & l’un ou l’autre, si rare, dans mes recueils d’avant 1980…. La femme dans le train de Colmar avait émü celle que, l’été 1980, j’allais épouser & un autre poëme, parû dans la Revue alsacienne de littérature, fut invoqué par le cabinet ministériel de l’Éducation pour…. ne pas me réintégrer (lettre à Gilbert ESTÈVE, mairie de Sélestat).
J’ai dans mes tiroirs (ou cartons) un millier de pages de poëmes érotiques, encore inédits. Bien sûr aucun ne concerne Olivier. Vais-je jamais les publier ?... Ils sont d’une impudeur TRÈS courageuse, si je puis risquer cette expression….
Quant à énergie poétique, énergie mentale ou énergie de la sexualité (ou bandaison lyrique) je ne sais (Bernard Noël ou pas) que te répondre !... Bien sûr, si l’on est à écrire un poëme d’Éros il sera meilleur n’ayant pas jouï que l’écrivant juste après avoir…. Mais ça c’est l’évidence… On peut très bien, après avoir fée l’amour, écrire sur plein d’autres sujets que l’amour, non ?... Quant à…. « corps sexuel érotisé » j’ignore ce que dire cela veut ?... Y a-t-il un corps socialisé ou politisé ou métaphysiqué ou un corps philosophé ou un corps peintüré ou un corps chorégraphié ou un corps militarisé ?... Ayant, hélas, l’esprit très peu tourné vers l’abstrait, je ne connais que les mots de la crüdité populaire…. L’analyse du sexüel m’échappe… Je ne puis qu’évoquer, dans ma poësie ou ma faible réflexion, l’immense mystère du Sexüel, ce très vif paradis, cette indispensable consolation…. Je l’évoque, le décris, le raconte de la manière la plus détaillée possible (y compris la déception d’après coup)… c’est-à-dire à fleur de peau & fleur d’œil. Je ne fantasme pas, comme le font les…. petits romanciers pornos. J’essaye de fixer tout l’échange (ou le non-échange) qu’il y a eu dans chacüne de ces rencontres…. si nombreuses !.…
 
(à suivre) 

 
4Jean-Paul Klée fut radié de l’Éducation Nationale et emprisonné à Fresnes pour avoir subtilisé et divulgué des informations classées « confidentiel » faisant état des établissements scolaires dits Pailleron, construits avec des matériaux inflammables en quelques minutes. 


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