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[Feuilleton] : La Digue, de Ludovic Degroote/1

Par Florence Trocmé

Poezibao inaugure aujourd’hui une nouvelle rubrique (« catégories » dans la colonne de droite) : il s’agit du feuilleton.  
Le seul principe : une publication trois fois par semaine (lundi, mercredi et vendredi) d’un ensemble découpé en séquences, en principe une quinzaine pour chaque feuilleton. Le contenu sera très varié et libre, au choix des auteurs sollicités par le site ou des idées mises en œuvre par la rédaction. Il pourra s’agir d’une réédition d’un texte introuvable, d’un poème long, d’une série des fragments, etc.  
La première proposition : la réédition à l’initiative de Poezibao d’un très beau texte de Ludovic Degroote, La Digue, devenu inaccessible (le livre édité en 1995 par les éditions Unes de Jean-Pierre Sintive est épuisé). Ce premier feuilleton sera composé de quatorze séquences. 
Après publication du dernier épisode, un PDF, facile à télécharger et/ou à imprimer, sera proposé. Dans le cas de La Digue, un accord de principe a été passé avec les éditions publie.net pour la publication électronique du livrel du texte.  

Ludovic Degroote, La Digue/1 

Pas de bout, pas aux choses, pas à soi, peut-être pour ça qu’on va sur la digue, on regarde la mer, les falaises, les villas, à la fin on revient, on attend de recommencer, au milieu de la vie qui passe. 
 
 
 
 
La digue ça ne mène nulle part, ça n’engage à rien, on regarde la mer, et puis on s’en va ; les yeux naturellement sont portés là plus qu’aux villas ; où il n’y a rien l’œil ne tombe pas, ça nous laisse d’abord à nous-même. 
 
 
 
 
Les choses souvent on croit qu’elles sont là pour nous, qu’on a d’elles une mémoire, un regard – on est séparé de tout, les choses tiennent sans nous, c’est pour ça qu’elles n’ont pas de bout. 
 
 
 
 
On passe, on marche, on avance, moments posés les uns près des autres, on ne s’en rend pas forcément compte, les pensées naissent et meurent, elles glissent sans qu’on soit toujours là, ou bien c’est nous qui glissons, à côté, ou bien non, ça se fait comme ça, en dérive. 
 
 
 
 
Sous le ciel, neutre, froid, calme, durant dans le silence, comme s’il ne restait plus qu’une enveloppe. 
 
 
 
 
On sait que c’est là, évoluant entre la gorge et l’estomac, ça bouche ce qui à l’intérieur demande à respirer. Ça n’empêche pas de vivre, ça donne juste un goût aux choses, on finit même par croire qu’on s’y fait. 
 
 
 
 
Pas de sens pour faire la digue, on commence n’importe où, pas de fin, on en fait des bouts, des pans, tout y paraît sans histoire, sans mémoire, disloqué comme les choses sont en nous, avec de grands pans de vide séparés comme des digues. 
 
 
 
 
Les paysages sont intérieurs. On ne connaît pas la souffrance des autres, on se contente de soi. Ce qui rend lourdes les choses s’est perdu au fond et ne pèse plus. Demeure le poids de notre présence face au monde, ce qu’on pèse soi-même sur ses propres épaules. 
 
 
 
 
Peu d’étale des choses, de transparence entre elles, rien qui tienne hors de notre regard, la digue on la fait hors de tout, ça n’est qu’au-dedans que les choses apparaissent, par pans, par bouts, et c’est de là qu’on les croit isolées, alors que les espaces ne sont disloqués qu’en nous. 
 
 
 
 
C’est la mer à gauche quand on va à la Pointe aux Oies, à droite ce sont les cabines, les villas, les immeubles récents, et puis aussi le Grand Hôtel, les choses, ça arrive, on ne les voit plus, on croit les savoir par cœur, on n’écoute plus rien. 
 
 
 
Ludovic Degroote, La Digue, Éditions Unes 1995, (épuisé, pp. 7 à 10. 
 
[à suivre : deuxième épisode vendredi 28 octobre 2011]  


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