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Très grand gel de Rémi Checchetto (par Antoine Emaz)

Par Florence Trocmé

Ce livre, écrit dans la suite de Puisement (éd. Tarabuste, 2010), n’en a pas la variété de tons. Il s’agit ici d’une douzaine de poèmes ; il faudrait plutôt parler de chants, qui visent tous un lyrisme épique de la destruction. Souvent, dans l’élan et le mouvement du vers libre, dans l’emploi fréquent de l’anaphore et de l’agrandissement épique, on n’est pas loin de songer à Saint-John-Perse : «  Très grand gel / sur tout du monde / sur les terres plates ou rondes / brunes ou jaunes ou vert tendre et croissant / très grand gel sur les arbres dodus ou sur les arbres à pics / sur les genêts, sur les nénuphars, les fraîches tulipes, au cœur des bosquets / très grand gel jusque dans la moelle des profondes forêts / très grand gel sur les chemins, les routes larges et droites / dans les corbeilles, sur les rues, dans la clairière / sur les toits, dans les herbes / sur les meules, entre les griffes des chats, dans la gueule du chien / très grand gel sur les fils à haute tension, dans la serviette, le catalogue / très grand gel qui a arrêté les ailes des oiseaux et celles des moulins (…) » 
Mais il s’agit d’une épopée noire, d’une dévastation généralisée : aucune gloire ou lumière dans ces pages, plutôt un écrasement. « Très grand gel » finit par apparaître comme un personnage, une sorte d’ange maléfique de l’Apocalypse et de la ruine. Projection de l’intime en une sorte de catastrophe cosmique : «  Ne demeure que la souffrance / ne se diminuant, ne se dissolvant / souffrance tant / souffrance telle / souffrance tape fort /  frappe d’effroi la moindre tentative de sortie / la moindre tentation de palliatif / le moindre geste de détournement ». 
Et lorsqu’un chant ouvre une lueur d’espoir, un futur fragile, c’est pour dire que l’on a sans doute touché le fond du pire : « puisque la grande nuit de marbre est arrivée / nous ne pourrons qu’un jour l’autre en débarquer / ce sera question de passage / question de temps / question de rampe que nous saurons trouver et suivre ». 
Mais le chant suivant est retour au chaos, impossibilité de réordonner soi et le monde pour parvenir au calme, sinon à la paix. «  C’est que tout du passé monte / toutes les années passées viennent / en images et en sons d’un coup / toutes les armées des années montent / arrivent en un galop qui n’a de cesse de marteler la terre au plus fort / n’a de répit de s’amasser, s’amalgamer au plus compact / se tiennent là en rangs serrés, les armées des années / barrent le passage, / et nous ne pouvons plus mettre les pieds de nos yeux sur ce qui est là / tandis que nous n’entendons plus que le très grand rire de très grand gel ». 
Checchetto propose ici une poésie hallucinée autant que désespérée. C’est ce qui fait sa force, pourvu que le lecteur accepte d’entrer dans une forme de lyrisme qui n’est pas dominante en poésie actuellement. Mais il importe que toutes les paroles poétiques justes puissent avoir lieu, dans leur diversité, leur nécessité, loin de tout maniérisme. 
 
[Antoine Emaz]
 
Rémi Checchetto – Très grand gel 
Dessins de Shirley Carcassonne – éd. L’Improviste 
98 pages – 13 € 
 


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