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[Feuilleton] : La Digue, de Ludovic Degroote/8

Par Florence Trocmé

Sur le principe du feuilleton, voir ici 
 
Ludovic Degroote, La Digue, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
 
Ludovic Degroote, La Digue, épisode 8 

Ludovic Degroote, La Digue, épisode 8 

Autour figé, amorti, sans attente, comme si on y était nous aussi défait de tout mouvement, porté là ailleurs, avec seul dans la gorge qui grommelle le nœud qui grossit ; on regarde, le temps de s’arrêter ça ne veut rien dire, on s’imagine tout reconnaître, on ne voit rien. 
 
 
 
 
Ni vraiment dehors ni dedans totalement, on s’échappe de tout sans sortir de rien, on marche, on continue, ciel bleu, ciel gris, mer bleue, mer grise. 
 
 
 
 
Ça vient de si loin, une simple résonance qui atteint, et secoue ; sur la digue, dans le vent, c’est bon. Même sans vent, et même sans digue. Brut c’est meilleur. 
 
 
 
 
Emboîtant le pas, toujours en train de se quitter, écrivant ailleurs, d’une même voix. 
 
 
 
 
Ce qu’on vit pèse plus que la solitude des autres réunie. On est généreux le temps d’un mot, qui dure le temps qu’on le dit. 
 
 
 
 
On est là les yeux fermés, exactement comme si c’était une attente. Quand la pluie mouille, l’intérieur est d’abord atteint au cœur, ça va ensuite autour ; là où l’intérieur et le dehors se confondent c’est le plus impossible à toucher, là seulement où la tête repose, au plus près. 
 
 
 
 
L’imprécision du vide au-dedans emporte tout, pas grand-chose qui ne nous y ramène, la digue, on la recommence – pas plus en dehors d’elle-même ne tiennent les choses qu’elles ne tiennent à l’intérieur de nous. 
 
 
 
 
Coincé au milieu du flot portant devant, on se retourne sur des images qui reviennent sur les mots qu’elles cachent quand on veut les balayer, les images, elles font comme si elles calmaient les choses, et nous dans le même temps. 
 
 
 
 
Les mots qui se tiennent au-dehors sont écrits du bout du corps, ils ont quitté l’histoire qui les a menés à cette solitude, pas de paix davantage, ça ne ralentit rien, au bout les cadavres s’empilent, par falaises, comme une épaisse image couleur millefeuille foncé. 
 
 
 
 
On meurt, on n’a rien demandé, c’est le premier geste qui nous porte à l’habitude, on se défait des images, quand on dort et qu’on ne voit rien, c’est là le meilleur, pas d’humidité à l’intérieur, on est effacé, comme si on avait disparu de soi. 
 
 
 
 
On est au début de la digue, au bout on est à la fin, si on n’a pas fini on revient, s’entassant là, se taillant une mémoire, un relief, par passages successifs, on s’occupe d’une place, on ne pense à rien, on est bien, on vit. 
 
 
 
 
D’elles-mêmes les ombres se décalent, dissimulant ce qui bouge, ce qui demeure ; le pas, lui, dure sur le béton qui résonne, quand on oublie d’où ça vient ça fait un peu peur. 
 
 
 
 
Évidemment on est tenté de parler d’autre chose que de soi, au bord de la mer on fait la digue, pas seul dedans on vit plus, on subit davantage. À gauche la mer, c’est comme ça, on bavarde, le temps passe. On ne voit pas grand-chose d’autre, en vérité. 
 
 
 
 
On n’est pas bien ce n’est pas pour ça qu’on se sent mieux, là où on se tiendrait c’est si mince que l’intestin seul n’y rentrerait pas, on fait des efforts, la tête vissée sur les épaules oblique peu, c’est par l’intérieur que tout pourrit, et libère sa pureté. 
 
 
Ludovic Degroote, La Digue, Éditions Unes 1995, (épuisé), pp. 39 à 43 
 
[à suivre : épisode 9 lundi 14 novembre 2011] 
 

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