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Sauf d'Antoine Emaz (par Jean-Pascal Dubost)

Par Florence Trocmé

Emaz, saufDans la nouvelle collection « Reprises » des éditions Tarabuste, Sauf reprend plusieurs titres publiés à la même enseigne, épuisés aujourd’hui, ainsi que des poèmes publiés en d’autres livres et lieux ou en livres d’artiste (Antoine Emaz a signé de nombreux livres d’artistes). Comme l’ensemble démarre à la première publication du poète, en 1986, à Tarabuste déjà (on notera le fidèle compagnonnage), et suit le parcourt, Sauf présente l’intérêt non négligeable d’une vue d’ensemble sur un travail toujours en cours, un travail du vivant posé sur de l’écrivant, une vue sur le mouvement imperceptible mais indéniable que celui-ci connaît, imperceptible en cela qu’Antoine Emaz n’est pas poète de l’éclat ni de la démonstration ni du bouleversement, mais de la discrétion et de la main qui bouge autour d’un axe maintenu ferme, l’axe de la régularité, du syntaxico-sémantique dépouillé, pour produire un léger jeu, une articulation autour de la régularité d’être (vivant) au monde, des irrégularités non langagières mais légères dudit être, irrégularités manifestées par l’étonnement non interrogatif. « On est là » est une tournure emblématique d’Antoine Emaz, laquelle est l’expression d’un constat étonné, l’adverbe « toujours », en ellipse, résonne dans toute sa poésie, lancé dans le vide silencieux pour faire injonctif écho. Une tournure qui, au fil des livres, s’est affinée pour jouer, justement, discrètement, avec l’homonymie de l’adverbe « là » : on est las ; mais sauf ; « Se maintenir est épuisant ». Il y a chez Antoine Emaz l’obstination de la même chose. C’est cela, entre autres, que permet de regarder une telle somme, « comme un travail sans fin/un remuement incessant/de mots ». Son travail fait écho à un autre, qu’on évoque peu lorsqu’on évoque ses sources littéraires, à celui de Cesare Pavese, aux réflexions de son Métier de vivre (« Devant la mort, ne persiste plus que la conscience brutale d’être encore vivant » écrivait ce dernier). Où chez l’écrivain italien, la puissance d’écrire s’alimente dans la fatigue et la souffrance de vivre, puissance transformée en énergie chez Antoine Emaz ; le souci de la mort se regarde chez lui dans celui du corps, le poids de sa fatigue (« corps écrasé » ; « on se demande ce qui porte encore/le corps/au bout du compte du jour sauf/l’erre »). Si on veut considérer encore l’avancée de l’écriture d’Antoine Emaz, on remarquera de même un poème qui, imperceptiblement toujours, prend de la vitesse, et plus particulièrement dans les poèmes prosimétriques, où les blocs de prose perdent peu à peu en chemin les signes de ponctuation et à l’intérieur desquels les phrases sont agglutinées les unes aux autres, vitesse qui relève moins de l’urgence que de l’énergie acquise. Pauvreté, dépouillement, répétition et monotonie sont les particularités et forces de cette poésie-là, qui jamais n’ennuie, au contraire, étonne sans lassitude, pour ce que les étonnements personnels subrepticement s’élèvent sur des questionnements ; la poésie d’Antoine Emaz est ontologique. 
  
[Jean-Pascal Dubost] 
 
Antoine Emaz 
Sauf 
Tarabuste 
340 p., 13€ 


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