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Cuisine, d'Antoine Emaz (par Rémi Checchetto)

Par Florence Trocmé


Emaz, cuisineCuisine non pas au pluriel mais au singulier. Une seule cuisine donc. Laquelle ? Celle qui donne à digérer ? ou celle qui donne à rédiger ? (digérer et rédiger sont de fait anagrammes).  Ou bien est-il ici question de ce qui cuisine le poète, l’interroge, cherche à obtenir de lui des aveux ? 
 
Durant une année entière Antoine Emaz écrit qu’il n’écrit pas. Ecrivant Cuisine il n’écrit pas de poésie, mais cette manière de journal dont le cadre est nettement défini par les lectures des autres et de ses recueils, les allers-retours Pornichet-Angers, l’écoute de France-Culture, la famille, les amis, les livres, sans oublier quelques recettes, la fameuse confiture d’oranges de Tata que nous tenterons.  
 
Une année entière, ses quatre saisons évoquées parmi les géraniums, l’acacia, le ciel, le store de la véranda. Les vacances, le travail de prof, le travail de lecteur, les matins, les soirs.  
 
La question centrale est, pourquoi n’y a-t-il pour l’heure plus de poésie ? Page 145 : «  Ce qui manque présentement, ce sont des blocs bruts de matière verbale. La vie ne fournit plus, alors qu’elle continue de secouer. Comme une dissociation entre tension d’être et tension de langue. Quel rouage ou quelle courroie de transmission ne remplit plus son office ? ». Page 197 : «  Vieillir revient. Mais comment ? Où soulever quoi pour que cela déplace la langue ? Des mois que je me heurte à cela. Attendre. »  
 
Nous le voyons, pas de recette en poésie. Attendre donc. Il faut d’abord attendre les ingrédients, veiller le soir, scruter le jour, lire et relire, guetter de l’œil. A l’intérieur, c’est « Pénombre mentale. » (page 226). Page 235, « Dans Cuisine, je voudrais aller au quotidien comme on va au charbon. ». Nous y sommes, le quotidien comme matière première et transformable, comme combustible, comme chaleur et énergie. Et dès lors nous comprenons mieux ce « Bonne énergie à toi » dont Antoine Emaz termine toujours ses mails.  
 
Ainsi donc ce quotidien à digérer, à transformer afin que puisse se faire le rédiger. Cela se présente au moins deux fois. La première est une vision à l’extérieur de soi, le mur repeint dans le jardin de Pornichet, non pas pour faire propre, mais pour la lumière, mur pareil à une page blanche qui attend Antoine Emaz le poète. Voilà où poser la poésie, son minimum, son socle. Arrive ensuite cette petite note page 167 : «  Les grêlons sautent dans l’herbe. C’est drôle, on les voit pas tomber mais seulement, et nettement, rebondir, comme des puces blanches ». Et pourquoi pas, une petite voix dans ces mots qui dirait : la poésie, c’est drôle, on ne la voit pas tomber mais seulement, et nettement, rebondir en des images qu’il faut tenter de capturer.  
 
En regard, dans Plaie, recueil dont il est beaucoup question dans Cuisine, cette page 135 : 
« S’éviter  
fatigue » 
Oui, s’éviter de la fatigue, et tenter de s’éviter engendre de la fatigue. Aussi oui, Cuisine est-il ce bol d’air, ce « récipient d’air » dont nous comprenons qu’Antoine Emaz ait besoin. Mettre un peu d’air, prendre l’air, en brasser un peu, y aller un peu, au moins du bout des doigts. Page 221 : « Toujours ce manque de souplesse de la main, le matin, tant que je n’ai pas écrit quelques lignes, comme s’il fallait dégourdir les doigts. ».  
 
[Rémi Checchetto]

Antoine Emaz, Cuisine, éditions publie.net 


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