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Visage vive de Matthieu Gosztola (par Antoine Emaz)

Par Florence Trocmé

Gosztola bonneLe titre arrête, bloque par du manque. Faut-il lire « Visage, mémoire vive », « Visage, qu’il vive ! » ? Quelque chose manque : et pourtant les deux vi(es) insistent sur l’encore-là, le vivant autant que l’à vif. Un livre de vie et de mort, pas seulement de séparation. On est encore dans le temps : « Ton visage : l’année tout / Entière en est atteinte » (p21) ou « Pendant les huit mois de ton / Sourire immobile » (p49). Mais on peut être aussi dans le définitif, le révolu : « Ton décès // Un visage on ne sait pas où / Commence ce qui change de place » (p24), ou bien « Ton visage / Sans lendemain //Des inconnus ont envoyé des / Fleurs » (P22). En fait on n’est pas dans le temps d’un récit mais dans la période de la fin, quand tout se désorganise ou tourne en boucles de motifs différents mais en nombre réduit : le visage, la douleur, la mort, le silence, l’enfant… 
La forme d’écriture choisie exprime bien cet émiettement d’être, cette impossibilité de lisser le vécu en un récit chronologique clair, habituel. Ce sont de petits groupes de vers libres, eux-mêmes souvent fragmentés par des rejets durement marqués. Sur ce point, l’écriture est assez différente de celle employée dans Musicalité du vide, 2, alors que la proximité thématique du deuil est évidente. 
« L’enfant » : on ne saura pas qui. L’auteur le tutoie sans jamais le nommer ou donner un lien  de  parenté.   L’enfant est  tout entier  dans sa douleur et la  maladie de sa mort.    « L’enfant / Il me montre ses / Dessins / Il y a ses peurs dans ses dessins / Il pense qu’elles vont prendre / Leur envol // Aussi à partir du papier » (p65). On le voit par cette peur, l’enfant n’est pas inconscient, il sait que « La mort avance lentement / Dans le jardin et bientôt // Elle existera  »  (p64). Cette conscience de sa propre fin est une des tensions fortes du livre. 
En face, ou plutôt avec, le « je » accompagne fraternellement cette lente fin de vie. Il ne soigne pas plus qu’il ne se lamente ; il reste dans une sorte d’impuissance silencieuse. « Tes silences ont beaucoup de / Peine // J’aimerais être ce qui vient / Enlever la peine // En partie » (p48). Le « je » est dans une attitude aidante, compatissante, accompagnante, plus que révoltée face à l’inacceptable inévitable. Lisant, j’ai plusieurs fois repensé au personnage de Rieux dans La Peste, confronté à l’agonie du fils Othon ou de Tarrou. Mais le parallèle tourne court : il n’y a pas de lutte chez Gosztola, pas de combat ou d’agonie au sens propre, et ce n’en est que plus rudement humain. Les séquences du poème nous donnent des fragments en désordre d’une séparation entre deux êtres ; ils peuvent seulement s’aider, s’aimer. Par exemple, le « je » devine les pensées de l’enfant : « Ton corps est traqué dans ta / Tête //Tu es parmi les choses / Et les gravats / Tu cherches à passer » (p72). Mais l’un et l’autre ne peuvent échanger leurs peaux, et ils le savent.  Il y a beaucoup de retenue dans ce livre, et le choix de la bribe, de la séquence courte, est particulièrement approprié. Le lecteur ne devient jamais voyeur, il n’en a pas le temps, même s’il partage l’intensité de cette lente séparation. « Je te regarde il y a la neige / Toute la neige silence d’un / Visage » (p86). 
 
[Antoine Emaz] 
 
Matthieu Gosztola , Visage vive, Editions Gros textes – 98 pages – 7€  


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