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L’exercice du pouvoir

Par Memoiredeurope @echternach

L’exercice du pouvoirLa campagne électorale présidentielle française accumule beaucoup plus de phrases que d’idées. Ou du moins elle semble se jouer publiquement beaucoup plus sur la communication que sur le contenu. Les convictions et les choix personnels en la matière sont de l’ordre de l’intime, mais il faut aussi savoir sortir de la réserve. Devant les contritions du candidat président sur les premières heures de l’exercice de son pouvoir, je me suis souvenu de ma réaction le 9 mai 2007 et du post que j’ai écrit, encore sous le coup de l’indignation, une indignation qui rejoignait modestement celle que Gilles Clément avait formulée dès le 7 mai. Je m’étais laissé aller : «Il aura fallu quelques heures. Seulement quelques heures. Le candidat devenu Président a inscrit ses premiers symboles au fronton de la République dont il vient de prendre la charge. Son avenue est celle des Champs-Elysées. Son établissement de référence est le Fouquet’s, la brasserie parisienne d’une certaine élite et le Fouquet’s Barrière, disposant pour ses chambres et suites d’un majordome privé 24H/24H, l’endroit où il se repose en famille, après l’annonce des résultats. Son horizon préféré pour la suite de ce court repos est celui d’un yacht flottant en Méditerranée, au large de Malte. Son obligé et ami, est un grand industriel, certainement reconnaissant, qui a cru bon de préciser que la tradition familiale voulait qu’on accueille les politiques qui nécessitaient un abri temporaire…à preuve Léon Blum et Mohamed V. Le libéralisme ne se cache pas. C'est le seul reproche qu'on ne puisse pas lui adresser. Il est cynique et il s'assume. Ce ne sont en effet que des habitudes de riches et des signes de distinction. Ni plus, ni moins !»

Alors la petite phrase préparée par la première dame française n’en résonne que plus étrangement dans ce contexte rétrospectif : «Nous sommes des gens modeste». Quant à celle du ministre de l’Intérieur sur le fait que le Président avait une «vie d’une austérité extrême», elle apparaît vraiment de l’ordre du superflu. Ceux qui ont une vie réellement modeste dont ils aimeraient s’extraire et les moines cloîtrés apprécieront.

Est-ce vraiment utile d’évoquer ou de citer les phrases vraiment racistes, anti-judaïques ou anti-islamiques et en tout cas vraiment dégoutantes auxquelles nous avons eu droit ? Ou encore celles qui témoignent de reniements tardifs et de laudatio en attente de postes ministériels ?

Je préfère conseiller la découverte de deux films qui parlent de l’exercice solitaire du pouvoir, ou plutôt de l’exercice solitaire de la direction de l’état ou des collectivités importantes, tel qu’il se déroule aujourd’hui avec des invariants dans toutes les sociétés démocratiques, dans ces sociétés où les médias imposent la construction d’une image reconnaissable et la moins complexe possible. D’un côté «L’exercice de l’état» de Pierre Schoeller, un film de fiction sorti en octobre dernier et que soutient à l’heure actuelle France Inter et de l’autre : «Le Président », un film documentaire de Yves Jeuland qui est sorti en 2010, entre la réélection et le décès du Président de la région Languedoc Roussillon, Georges Frêche. Je pense que ces deux œuvres valent les meilleures leçons sur la démocratie enseignées dans les écoles de droit. La démocratie, cette conquête que Winston Churchill qualifiait de «Pire système politique, à l’exception de tous les autres».

On peut compléter, comme disent les bons enseignants, de quelques autres titres. Côté accompagnement, « El custodio », le garde du corps de Rodrigo Moreno et côté justice : « L’ivresse du pouvoir » de Claude Chabrol. Le « Président » de Lionel Delplanque avec Albert Dupontel était plus léger et superficiel, tandis que le « Le Président » que Henri Verneuil a adapté de Simenon en 1961, avec Jean Gabin comme vedette principale, constitue une référence bien à l’aise dans sa décennie en évoquant les affres d’une IVe république française qui fonctionne fortement comme la IIIe et garde en mémoire l’image iconique de Georges Clémenceau.

L’exercice du pouvoir

Olivier Gourmet incarne avec une épaisseur assez surprenante un ministre un peu effacé, plutôt modeste en effet, plutôt empathique pour les « gens ordinaires », même s’il doit, d’abord pour son image, se déplacer en pleine nuit pour aller saluer sous la neige les victimes d’un accident de car particulièrement meurtrier. Ses attributions ministérielles en matière de transport vont l’amener à savoir s’il accepte ou pas que la décision de privatisation des transports ferroviaires, particulièrement impopulaire, fasse l’objet d’un diktat de son collègue de l’économie, tandis que le Président, le « père » comme le nomment les membres du gouvernement et qui ressemble furieusement à François Mitterrand, rebatte les cartes pour le meilleur et pour le pire et en tout cas pour assurer sa domination suprême. Cela peut paraître une intrigue un peu mince, mais le metteur en scène a su créer un rythme parfaitement adapté à la vie en accordéon du pouvoir, enchaînant sans cesse désespoirs et exaltations. Les trois couples indispensables sont tout à fait vraisemblables : avec le remarquable Michel Blanc, Directeur de cabinet, avec Zabou Breitman, attachée de presse plus vraie que nature et avec Sylvain Deblé, un acteur non professionnel, dans le personnage du chauffeur, un chômeur qui bénéficie d’un emploi dans le cadre d’un programme de réinsertion obligée. Tous les hommes de pouvoir connaissent ce trio, sans parler de l’agitation des conseillers.

L’exercice du pouvoir
Dans le second film, Georges Frêche interprète Georges Frêche. Les membres du cabinet, les responsables presse et le chauffeur sont tous interprétés par des acteurs non professionnels, puisque ce sont les personnages originaux. Tout est vrai.

La véritable question est donc bien : pourquoi le Président a-t-il accepté de s’exposer ainsi, d’exposer tout son entourage à une opération vérité, à un moment où, au crépuscule de son pouvoir politique, il remettait en question sa légitimité, un peu contre tous ? J’ai rencontré pour des raisons professionnelles avant et surtout après sa disparition, plusieurs des politiques du Conseil Régional qui l’accompagnent dans ce dernier combat, en particulier son successeur et plusieurs des vice-présidents. J’ai même, par le plus grand des hasards, partagé très amicalement les belles heures de l’abbaye de Fontcaude l’été dernier avec son chauffeur et son épouse. Pour ne pas parler de l’historien qui a accompagné Georges Frêche, depuis le temps des études universitaires d’histoire du droit, dans la recherche des fondements historiques de la Romanité, du Royaume des Wisigoths et de la Septimanie vers les horizons de Tolède et d’Al-Andalus, le Professeur Jacques Michaud pour qui j’éprouve à la fois un profond respect et une grande amitié.

La réponse à la question tient certainement aux secrets intimes d’un  vrai personnage de cinéma et d’un vrai ténor politique dont tout le monde s’accorde à dire qu’il n’y en a que peu de comparables en France aujourd’hui. Certains ajoutent : heureusement ! Il choque par ses déclarations qu’on ne peut que qualifier de populistes. Il aime d’ailleurs choquer en toutes circonstances, parfois même de manière un peu graveleuse. Il ment effrontément en réunion publique et commente ensuite ses mensonges devant la caméra. Il explique pas à pas pour son entourage – et sans doute aussi pour le cinéaste et donc pour nous tous – comment il construit sa défense contre le Parti Socialiste qui l’a exclu et tout particulièrement contre Martine Aubry et aussi comment il conçoit le contact direct avec ses électeurs et la vie de terrain. Une phrase, entre autres sur le combat politique : «Je tue toujours le premier. Et après, je pleure.»

Durant cette ultime campagne, il est omniprésent, il est partout, meurtri en permanence par l’essoufflement et la difficulté à se déplacer et par les battements d’un cœur fragile qui finira par céder à l’accumulation des excès de ce Gargantua contemporain. Et il gagne. Aurait-il accepté l’honnêteté de ce film s’il avait perdu ? Toujours est-il qu’il en reste ainsi un témoignage assez fabuleux sur le savoir-faire politique. Ou plus encore, un message du genre: est-ce qu'on peut faire autrement ?

Frêche saura mettre sur les rails de manière incontournable dans ses derniers exercices du pouvoir le musée de la Romanité que méritait la ville de Narbonne, où dans la suite de Prosper Mérimée, a été créée une des premières commissions archéologiques et littéraires, mais que mérite aussi le port antique de Gruissan d’où on retire chaque jour de nouvelles proies archéologiques.

Il aura aussi mis sur les rails son hommage aux grands hommes politique du XXe siècle où Jean Jaurès doit jouxter Lénine et Mao, comme on peut l'apercevoir sur son bureau, autre exemple d’excès qui a provoqué des réactions négatives qui sont plus que justifiées.

Et il aura contre l’avis médical fait un dernier voyage en Asie centrale, sur les traces de Tamerlan, en succombant à son retour à cet excès de tout.

Je me souviens que tous mes amis, de Perpignan à Narbonne, dans quelque domaine où ils travaillent et de quelque opinion politique qu’ils soient, ont vécu sa disparition comme un événement incroyable, presque inconcevable. Je respecte sutout les larmes de son chauffeur, offrant à l’abbaye de Fontcaude le manteau d’honneur que le Président avait reçu à Tolède et que son épouse léguait ainsi à un lieu où la conscience laïque rejoint la pratique du chant grégorien.

L’exercice du pouvoir
Avec ce film nous sommes toujours dans la politique, celle où les petites phrases résonnent, mais où  la dimension de l’histoire, du temps long de l’histoire, dépasse  et déclasse le « story-telling ». Et il faut bien que nous apprenions à être des citoyens à qui on a accordé le choix de faire ou de défaire le pouvoir. L’exercice du pouvoir est, si nous ne l’abandonnons pas en refusant de prendre parti et de l’exprimer, encore un droit individuel.

Jean-Paul Delevoye, ancien médiateur de la République a fait paraître en janvier un ouvrage intitulé : « Reprenons-nous ! » (Tallandier). Il y dénonce la domination de la consommation dans tous les domaines, y compris bien sûr la consommation des hommes et des partis politiques par les électeurs. Allons-nous en France consommer, voire dévorer la gauche après la droite, tandis que nos voisins espagnols sont en train de pratiquer sous nos yeux l’exercice inverse et que les Slovaques vont également jouer l’alternance droite – gauche avant les Allemands ?

Delevoye affirme : «L'avenir est entre nos mains. Pour gagner, il faut réinventer un vrai débat public, mettre les problèmes sur la table, écouter, expliquer, faire confiance, valoriser les potentialités, accompagner les individus plutôt que défendre le système, penser les urgences du long terme, oser prendre des initiatives et des risques. Autrement dit, rendre chacun responsable de son destin et retrouver le sens du collectif.» Voilà d'un homme honnête! Le problème est que cet ancien élu du RPR et de l’UMP et ancien ministre de Jean-Pierre Raffarin prend là une position technique certes pertinente, celle d'un homme qui préside le Conseil économique, social et environnemental (CESE), mais qu’il ne s’agit pas d’un discours de campagne.

"L’important aujourd’hui est de gagner un électeur même si on perd un citoyen» dénonce-t-il. On peut espérer qu’il en informera aussi une grande partie des candidats et que les dernières semaines de combat permettront d'ouvrir de vrais débats.


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