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Des fois des regrets comme de Romain Fustier (par Antoine Emaz)

Par Florence Trocmé

Romain-Fustier-Des-fois-des-regrets-comme_mediumDans ce livre d’une soixantaine de pages, tout se joue sur une tension entre une forme, une écriture, et une émotion. 
Une forme : on pourrait presque la qualifier de fixe puisqu’elle est reprise à l’identique au long du livre. Le premier poème délimite donc une sorte de cadre strict de parole : le poème fera une page et il sera divisé en séquences de 3 – 1 – 4 – 1 – 5 vers libres qui, sans être métrés, se situent peu ou prou entre six et huit syllabes. 
A l’intérieur de cette forme, et sans doute aussi à cause d’elle, va se développer une écriture qui sera très libre, notamment sur le plan de la syntaxe. Les ruptures et les ellipses abondent, créant une sorte de langue chahutée, décalée, cahotante mais pas chaotique. Le lecteur ne perd pas le sens, mais celui-ci clignote au lieu d’éclairer en continu. Et il y a du plaisir à ces glissades qui ne finissent jamais en dérapages incontrôlés. «  on s’était-elle exclamée / est passé hier matin samedi / près d’une première gelée // comme si elle avait eu // en regardant le soleil froid / à la fenêtre l’intuition / qu’il allait se passer / rappelles tu t’en oui // sous peu une chose grave // une grosse crise d’asthme / ta fille à l’hôpital / alors qu’on aurait dû / pour le week-end partir / loin des urgences où elle ».  L’instantané de vie est ici parfaitement banal, saisissable, quotidien. Et l’on retrouve la vieille ruse pongienne, même si Romain Fustier vise l’émotion et non la « chose », il faudra y revenir : plus ce que je dis est banal et irait sans dire, plus je rends évident que l’essentiel n’est pas l’objet de mon dire, mais comment je le dis. Donc la poésie est plus (ou autant) une affaire d’écriture qu’une affaire de contenu, de message, de thème… 
D’autres éléments vont dans le même sens, mais sans forcément emporter mon adhésion parce que je ne vois pas clairement ce qu’ils portent, apportent, emportent : ainsi pour le remplacement systématique de « et » par « & », ou la réduction de « nous » à « ns ». Détails. De la même façon, si certains néologismes sont efficaces, tous sont-ils nécessaires ? « désinquiet », inangoissé », déjàmais », « allongétendu », « dévivre »… Là encore, ce n’est pas un aspect essentiel de cette écriture, même si l’on comprend que cela participe du désir de bouger la langue commune, normale, utile. 
Poussée à bout, cette logique produirait un texte illisible. Ici, il n’en est rien, et il faut faire retour sur ce choix de l’émotion, plus particulièrement liée à la mémoire. Le titre, Des fois des regrets comme  indique la direction que vont prendre les poèmes : chacun d’entre eux va être un complément au « comme » du titre, et entrer dans une suite mélancolique qui constitue le livre. On pourrait distinguer des séries : l’enfance, le voyage, l’amour… Mais on remarquera surtout qu’il s’agit presque toujours de bons souvenirs, un peu comme des points d’appui quand les temps présents sont durs : le « vert paradis » de Baudelaire. On notera aussi tout le travail pour circonstancier autant que banaliser le souvenir personnel. Deux exemples : «  si tu te retournes regardes / qu’est-ce que tu vois / en arrière à nouveau linoléum // dans le couloir & parquet // chez les grands-parents fauteuil / en skaï patins tu assistes / au film revu & corrigé / par le temps qui repasse // en boucle quand tu étais / un bambin gosse mioche môme / à bord d’une talbot / mangeant son premier hot-dog / à paris avril tour eiffel / & la vie encore devant ».  Ou encore plus délavé : « un café dans nos mains / devant un mur de distributeurs / sur quelque aire de repos // l’instantané a dû refroidir // la photographie pâlir a dû / de ce moment l’oubli / n’a rien dissout brûlure / des lèvres sur le gobelet // & l’odeur de carburant // dans l’atmosphère les pompes / et ns dans une aube / de bakélite & de cellulose / soufflant un automne de buée / sur notre long sans sucre  ». 
Nostalgie ? Oui. Romantisme ? Non. Seulement, des fois des regrets comme. 
 
[Antoine Emaz ]
 
Romain Fustier – Des fois des regrets comme ,  Editions des états civils – 65 pages – 12,50€ 


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