Magazine Culture

Titre et Le Marasme chaussé d'Ivar Ch'Vavar (par Jean-Pascal Dubost)

Par Florence Trocmé


Chvavar titreSimultanément, Ivar Ch’Vavar publie deux livres déroutants. Dès les titres ils le sont, emblématiques des voies incertaines qu’ils nous font prendre, multipliant pistes et fausses pistes. Titre est un titre, à l’origine, par défaut, raconte l’auteur dans les scholies qui closent l’ouvrage, « Je ne pense pas qu’il y ait un lien avec le contenu de ce texte, mais plutôt avec le contenu de tout texte (poétique) », y écrit-il. Cela est d’autant plus déroutant, que Titre est présenté comme un livre inachevé, suscité et commandé par un autre éditeur (Fabrice Caravaca/Le Dernier Télégramme) chez lequel il n’est pas édité, mais dont l’urgence d’édition, d’après l’auteur, s’imposait. Il est composé de 12 chants, dont un n’a pas été écrit, mais est présent en son potentiel, d’autant qu’il se titre « Grand-Con », et serait une figure de l’auteur (en grand dadais, ou en grand lubrique ?) ; 11+1 chants en vers déboîtés et enchâssés, pris en charge chacun par un « chanteur » différent (six filles et six garçons), présents sur la plage de Berck en temps lointain (années 70) ; cela ressemble à une tentative non lyrique de remémoration urgente auto-référencée à ambition universellement personnelle. L’ensemble, comme Ch’Vavar en est coutumier, est formellement très construit, et en versets arithmonyques (18 mots par vers) ; cela étant, on oublie vite la mécanique précise pour se laisser prendre par le sentiment d’immensité que dépose dans l’esprit un tel rythme, vaste, provoqué par ces versets s’enchaînant vigoureusement. Des enchaînements souvent suscités par les nombreux échos sonores qui parsèment les poèmes : 
 
« Bien sûr, ma poule, pose-la. 
   Parle. J’écoute. – Eh bien, voilà… 
   C’est à propos 
de ma peau… elle est bizarre, non ? 
   – J’en vois le moindre pore  
     comme un vrai madrépore (ah ! 
… » 
 
 
«   …Mais que je pète… Écoutez-moi : 
   je suis la reine de mes vesses 
et de mes fesses, de mes fèces… » 
 
 
« je suais. Je puais. Ça huait 
   en moi ; où ça luisait aussi 
   en dedans. Ça rutilait, devrais-je 
dire… » 
 
Échos sonores issus du fond de la mémoire, qui favorisent l’émergence de ce qu’elle peut contenir. Et comme le texte est fortement imprégné d’égarement libertaire, des sens et de sexe, on pourrait avancer que le verset obéit au rythme du va-et-vient coïtal. Ivar Ch’Vavar a un rapport quasi charnel avec la mémoire. Les scholies, comme à chaque fois, lui sont l’occasion de développer son art poétique, de le remettre sur la table d’expérimentation.  
 
Chvavar marasmeDéroutant tout autant, que Le Marasme chaussé : le titre est le nom d’un champignon, explique l’un des hétéronymes de Ch’Vavar, Alix Tassemouille ; un champignon toxique mortel, un cryptogame ( : dont le sexe n’est pas apparent, à l’image de celui du poème, dont le sexe d’écriture ne doit l’être non plus ?... On le sait, Ivar Ch’Vavar prend la parole sous nombre d’hétéronymes, de sexe féminin et de sexe masculin …) L’ouvrage est une reprise, non pas une anthologie, de textes divers et publiés déjà, organisés en 12 livres (tiens donc), au fronton de chacun duquel figure un poème épigraphe mêmement titré « la grande fille » (allégorie qu’on peut considérer comme une métaphore filée de la poésie). Les poèmes sont de formes beaucoup plus variables, comme présentant, finalement, le généreux mouvement d’écriture d’Ivar Ch’Vavar, fait d’hétéronymes, de questionnements méta-discursifs, de topographie et de langue picardes, de détournements, de centons etc. Une poétique de la multiplicité et de la foison, de la voix, du chant, éléments essentiels chez ce poète, qui a le don de délyriquer tout cela, jusque prendre le risque de s’égarer lui-même ; mais poésie est prise de risque, et il n’en est guère qui appliquent autant cet axiome à lui-même. Une sombre mélancolie imprègne les poèmes de Ch’Vavar, qui laisse néanmoins penser que la poésie est combat contre cette tendance humorale, une sorte d’antidote contre la toxicité d’avaler les jours ; en s’oubliant dans la belle épopée d’une Picardie Mentale. 
  
[Jean-Pascal Dubost ]

 
Ivar ch’Vavar, Titre, Éditions Les Vanneaux , 15€ 

Ivar ch’Vavar, Le Marasme chaussé , Flammarion, 20€ 


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Florence Trocmé 18683 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines