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Renaissent-elles toujours, ces notes
... proliférantes ébauches comme une végétation d’emblée sèche ?
pour se dérober, à toute puissance d’un tout en formation et qui exigerait que chaque esquisse locale se donne à l’ensemble, se sacrifie ou, du moins, se laisse précisément contenir par ce qui lui mesurerait sa place... ?
Cette instance d’un « tout » : l’œuvre au sens « absolu » de Flaubert – et « reçue » par Kafka – se trouverait-elle tacitement confrontée à l’appartenance sociale au sens moderne, à l’état-nation et (projetée massivement par exemple dans Salammbô) à sa monstruosité sacrificielle ?
(Qu’est-ce qui peut en être sensible dans les dérobements constants de ces notes ?)
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Et cette autre prolifération, celle des paroles dans la conversation ?
Porc, me suis-je dit en me voyant (m’étant arraché un instant, presque malgré moi, à la conversation à l’étage au-dessus) dans la glace sale au-dessus du lavabo des toilettes du café, tu es rosâtre d’excitation verbale.
Qu’est-ce qui m’a pris ? pourquoi cette volubilité démentant instantanément tout ce à quoi j’aurais voulu croire tenir ?
Cette excitation (chaleurs des joues) se retrouve-t-elle dans mes notes ? me suis-je demandé, écœuré, dans le train, la rue, la nuit, au-dessus de la Loire.
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« Plus que tout j’écarterais ces paroles que les lèvres plutôt que l’esprit choisissent, ces paroles pleines d’humour, comme on en dit dans la conversation, et qu’après une longue conversation avec les autres on continue à s’adresser facticement à soi-même et qui nous remplissent l’esprit de mensonges, ces paroles toutes physiques qu’accompagne chez l’écrivain qui s’abaisse à les transcrire le petit sourire, la petite grimace qui altère à tout moment, par exemple, la phrase parlée de Sainte-Beuve, tandis que les vrais livres doivent être les enfants non du grand jour et de la causerie mais de l’obscurité et du silence. » (Proust, Recherche, Pléiade, t. IV, p.476)
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Le bavardage intérieur : inévitable – ou même quasi corporel, et moussant, vital ?
alors... se découvrir continument en train de secréter un flot de quasi mots ? est-ce le matériau nécessaire pour tout ce qu’on peut tenter de penser/dire ? comment s’allier, formant des phrases, à cette production crépitante ?
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Qu’est-ce qui, avant toute parole (ou après elle, la ravalant),
bouillonne et clapote « dans la tête » de chacun au milieu même de la rue
quelles ébauches de phrase anticipées, mal formées, se refondant, cuisant...
pour laisser place soudain à ce qui, irrémédiablement, se trouve dit
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... d’un poème (auto)railleur de Zbigniew Herbert : « La voix intérieure »...
(cette sorte d’existence mythique du dedans... dont on ne sait ce qu’elle est avant qu’on parle et se fasse entendre des autres ou de soi comme autre,
cette présence plus réelle que tout, et néanmoins constamment virtuelle... )
« [...] elle est peu audible/presque inarticulée// même en se penchant très profond/ on n’entend que des syllabes/ dénuées de sens [...]// parfois même/ j’essaie de lui parler/ – tu sais hier j’ai refusé/ je n’ai jamais fait cela/ je ne vais pas commencer// – glou – glou // – alors tu crois / que j’ai bien fait // –gua – guo – gui // c’est bien qu’on soit d’accord // – ma – a // – repose-toi maintenant/ nous reparlerons demain// elle ne me sert à rien/ je pourrais l’oublier [...]»
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La justesse : ne saurait-elle venir qu’après de la prolifération d’abord vaine ou plus ou moins grotesque ?
Faut-il qu’elle soit appelée, et rendue douloureusement nécessaire, par des phrases d’abord étouffées-étouffantes... et à ... guérir ?
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Quand vient-il opportunément, ici (ou quand viendrait-il, s’il venait) le moment de fixer des phrases : d’un féroce regard-écoute, s’abattre sur du trop abondant
se recourber, fouiller du bec, dilacérer...
aérer de vides perçants...
... trouver le rythme en un second temps ?
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Comme induite par des ébauches trop épaisses (soupe verdâtre),
il arrive soudain – il faut ? – que s’insinue et que rage, seconde,
une spatialisation intense
(animée de quelles forces ?)
... de l’espacement, oui, alors, des souffles, du jugement tacite-tactile, des déroulements qui se libèrent brusquement, ou de l’en même temps qui s’impose non unifiable,
(se crée-t-il alors
– comme sous les pesées de pas qui se poseraient/lèveraient, trouant le blanc de brun-mauve –
des places, des possibilités de « compter »... ? )
suite 8 le mercredi 11 avril 2012