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Naamah, le style prosétique d'Henry Le Bal

Par Tudry

Henry Le Bal Naamah, L'Age d'Homme, Lausanne, Suisse, 2012

« Mais chercher l'aventure au plus profond des mots,

Chercher sans gouvernail parmi ces charlatans... »

(Jean-Louis Murat, Le Champion Espagnol)

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« Alors j'ai hurlé, tel un oublié d'ergastule » (Naamah, p. 366)

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Naamah c'est un cri. Un cri intérieur qui s'articule de se désarticuler sur plus de 400 pages. Naamah c'est un nom qui résonne comme un cri, un nom de femme, celui, jamais vraiment révélé de la femme de Noé et celui d'une femme insulaire après avoir été muse des grands peintres d'une capitale désormais étêtée... Naamah... ça ressemble assez à un cri, à moins que ce ne soit à un murmure... Henry Le Bal qui, nous prévient-il, n'est pas « l'auteur » de ce texte, nous offre donc le récit de la longue descente dans le gouffre de la création, dominé par toute les beautés engendrées par l'homme, d'un homme au prise avec les mots. Un homme insulaire exilé en solitude, retranché des vies continentales par une gigantesque tempête, par un cinglant déluge. La violence extérieure met en branle un déluge de processus, une tempête extérieure et une intérieure, des voies intérieures de plus en plus profondes et silencieuses exigent la distinction entre des écritures différenciées, de plus en plus...

Par leurs paroles, leurs tirades, les mots sont devenus les verbes d'une action qui mène à la destruction. Des mots, des verbes, une destruction, et bientôt la fin. (p. 363)

Les grandes œuvres, l'art, les dialogues possibles et impossibles entre la musique, la poésie, l'écriture, la peinture, les souvenirs, les aventures, les paysages... c'est la grande collision qui enflamme le cerveau de celui qui se parle et s'écrit en lui-même « parce que là ça aime »...

Henry Le Bal nous le dit, voici deux textes trouvés, un carnet de bord, celui de l'écrivain perdu en des tempêtes et l'oeuvre théâtrale inachevée (ou plutôt transpercée de nuit et de tempête) qu'il laissa...

Inquiet de la beauté et des ineffables vibrations qu'elle nous lègue l'écrivain « malgré lui » qui nous fait don de ces textes d'involontaire folie créatrice pressent toute l'ambivalence de cette « plus haulte question ».

Les œuvres ?... Sans doute. Elles sont, oui, qui montrent les accès. Mais les accès à quoi ? A la beauté ? C'est ça la beauté, ce qu'il y a en dessous ? … Peut-être que la beauté est là-bas, de l'autre côté, de l'autre côté de la panique. Oui, peut-être que c'est ça... savoir que l'entrée elle existe, qu'on peut y aller, que les œuvres l'ont montrée mais qu'avant il faut affronter le Huff-hou avec juste dans la main une lampe qu'on a emporté et qu'on se demande si elle ne va pas nous lâcher. (p. 248)

Le chef-d'oeuvre – horizon inaccessible qui pour être atteint ne doit être visé, il y faut de l'inachevé, de l'humble au risque, sinon, d'être purement inhumain voire luciférien...

La splendeur des chefs-d'oeuvre qu'on dit célestes, ne serait-elle pas la voix des damnés (p. 249)

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Bien qu'abreuvés continuels de nouvelles pas bien neuves tant sur les changements climatiques que sur les « niouzes » du vieux démonde-tel-qu'il-ne-va-pas, le temps, en fait, qu'il soit chronologique ou atmosphérique, bien admettre que, la plupart du temps, ON y prête guère attention. Il nous faut, à nous qui pourtant y baignons continuellement comme un poisson dans l'eau et le bocal, il nous faut un changement, un « événement », une bizarrerie quelconque pour que l'attention s'y « arrête » enfin à celui-là qui précisément ne sait s'arrêter...

Une tempête de 39 jours, par exemple... Tempête qui, en outre, fait chavirer un moderne vaisseau plein d'or gluant et noirâtre qui empoisse tout, tout bien...

39 jours et quelques menus (més)aventures... Et le monde de l'anonyme rédacteur d'un «  livre de bord où j'écris comme à la barre d'un cerveau démâté et qui ne voit plus rien » (p.209), défaille, s'enlise en même temps qu'il s'élève et s'approfondit et trouve tout son sens... tout ses sens de déraison! Devant, et dans, les éléments déferlants comme « jamais », dans leur meurtrière et créatrice beauté, effarante, violente, comme toute beauté : « ça c'est de l'écriture, pas besoin des mots » (p.31) ! Parcours qui, dans la tempête, par la tempête, a la folie de la création ! Le contempleur/voyeur implose, il transpose, translate enfin tout ce que ses yeux avides et avares ont vu-lu, luvu vulu et retenu, trop retenu, contenu... tout ce que sa lecture intérieure va enfin transmué en inscriture, et en inscriture de la fin.

Drôle de bouquin, n'est-ce pas ? Tous ces livres écrits depuis qu'on a commencé à écrire, des millions de millions, pour nous mener là à nous interroger sur ce qu'on fait avec les mots, paumés au milieu de cette farandole de planètes et d'étoiles qu'on se demande bien à quoi elles servent si ce n'est à nous dire : « tout ça c'est du temps », et ce bouquin qui nous dit à chaque mot que toute cette histoire c'est une histoire de mots, pas une histoire de temps. (p. 329)

La tempête, la marée noire, l'antre tout ça l'empoisse, l'empoite, le claquemurise dans son fort intérieur et le pousse à l'écoute, à l'éclate de l'interne machinerie... Le stylet doit saigner, la main s'agripper, le bic doit verser son sang bleu sur le virginal papier ; rite aristocratique propitiatoire... libératoire ! « Donne le sang pour recevoir l'Esprit »...

Je ne comprenais rien aux mots mais ils me parlaient de choses que j'avais toujours sues, enfin...  (p.249)

Création contrainte par le monde qui s'agonise, par l'urgence du monde qui s'agonise, de la création qui s'éternise dans son agonie... L'île, son île, ses îles deviennent paquebot fou de mots... « Carnet de bord, au bord des mots », à bord avec les mots et les poursuites pleines venteuses des mots (cf. p. 41). Celui qui écrit, autant qu'il est écrit, est un « nègre », il « vit » des mots des autres, il écrit les mots des autres pour poursuivre ses passions aventurières de chasse et de pêches, de collections et d'éruditions, passions qui font des « souvenirs » mais pas une mémoire, des souvenirs frabriqués pour oublier l'essentiel ( l'essen-ci-elle )... mais la « création » ça non ! Il faudrait un déluge, et déluge il y a... et la création se jette dans l'interrogation de sa parèdre : destruction. La beauté dans la sienne : violence et mort au nom de l'Amour... au nom du Nom...

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Déplacé hors-temps, hors-champs, la tempête l'immobilise, contrainte racinaire et décoiffante telle elle le mobilise pour la création, toute création. L'homme d'aventure, l'homme des mots des autres est fait l'hôte des mots autres. Amour, folie émotion l'y maintiennent. Les mots l'emporte, l'entraîne plus haut, avec les visions amoureuses d'ici-bas par-dessus la tempête...

Une guerre de plus en plus sauvage, là-dedans, pour une paix à écrire. Un livre sans personnage, un livre commencé, et à coup sûr inachevé... dont l'auteur serait retrouvé fou. Dévoré tout là-dedans par le mensonge. Un livre inachevé dont l'unique personnage serait à l'extérieur... et que le livre aurait détruit.(p. 331)

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Splendide prouesse que ce texte. Epique pièce d'une seule pièce. Ce texte multiple. Dense, riche, virevoltant. Le style de Le Bal parle sa langue, son écriture parle sa langue. Joviale et profonde, singulièrement prose, phénoménalement poétique. « Prosétique » et prophétique (quand bien même le mot est dévoyé comme tant d'autres aujourd'hui), tout en longueur et saveur, en mystérieux questionnements retournés et en réponses plus interrogatives encore. Le qu'est-ce qu'écrire, le qu'est-ce que dire... Si nous visons la beauté qu'est-ce que cette violence intrinsèque qui nous coupe, nous dissèque et trouve à se faire dire, encore, encore... avec dans la nature son reflet si cinglant...

Tout commence par le signe, effet de la beauté toujours inconnue, toujours terrifiante. Tout commence par la poésie qui dit et apaise...

La paix finale du néant... Des mots pour qu'il n'en reste rien. Ecrire, faire œuvre de création, comme on dit, sur la destruction. Tout détruire d'écrire. Les mots pour en finir...  (p.326)

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On a dit de Le Bal que des thèmes de ces romans il faisait des pièces, ou que d'un même thème il faisait roman et pièce, pièce et roman... Nan !! Tout vient du poétique ! Ici il le dit, ces textes ne sont pas de lui, il s'est ex-patrié de son inspiration et son inspiration il l'a conquise en haute lutte de tempête de son île intérieure (de son « il » intérieur, ce qui parle, ce qui écrit...). Il pose donc en miroir noétique une pièce, Insularis, inspirée de cette in-ploratoire aventure où de haute lutte il arracha, en un sauvetage qui est salut, les textes nommés Naamah et Falindha... Résultat du dialogue qu'il noua avec ces personnages dans les sombres paquets de pluie illuminés des vents révélateurs...


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