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[note de lecture] "Mum is down" d'Oscarine Bosquet, par Anne Malaprade

Par Florence Trocmé

BousquetTombeau pour la mère conçu en quatre temps, ce petit livre se demande où la fille en est de son enfance, où la voix en est de sa gravité, si la mort passe et dépasse le temps, et comment poursuivre la vie lorsque celle qui vous l’a donnée arrête net les révélations du vivant.   
Mort d’autant plus atrocement réelle qu’elle a été programmée, décidée, agencée. Du suicide, il faut extraire les morceaux du corps, et violer le silence en traversant des surfaces de conscience, des temps d’arrêt, des ruptures de sens. Celle qui reste doit faire avec les restes, avec le cadavre, avec cette dépouille qui tient lieu de mère : les os, la chair, et cette matière du corps qui tend à se fondre dans la nature, ce mixte de poussières vives que l’on s’approprie en se nourrissant des fruits qu’un jour il redonnera aux vivants, cette poussière qui fleurit l’été. « je mange les fraises qui viennent sur elle/pas les artichauts pour qu’ils fleurissent ». Aimer, dévorer, avaler, se nourrir : en se décomposant le corps maternel compose aussi ce qui redeviendra goût, couleur et parfum. Le texte transcrit une série de mythogrammes : transposition de la souffrance grâce à une langue étrange étrangère (« matinée matinailler midi nuit/puis jourpager la teneur du di en lune »), transfert des douleurs, recherche d’un nouveau point d’appui à partir duquel continuer la vie, voyage dans un merveilleux noirci par l’expérience, comme si l’inacceptable maternel transfusait une violence à sa propre fille par-delà le bien et le mal, le juste et l’injuste, le beau et le laid. Aujourd’hui, ici, maintenant, c’est l’enfant qui attend tout du mythe et de la fiction, puisque la mère est « down », et la voix ne sera jamais plus transparente, ni jamais tendue vers l’Autre féminin (mère ou fille, peu importe, les rôles et les fonctions sont troubles) dont elle attend chaleur, tendresse et protection. Désormais une voix de papier dessine un paysage mental sonore où résonnent les cris et les pleurs de toutes les vies d’une femme : femme-enfant, femme-adolescente, femme-adulte, femme privée de sa vieillesse, femme masquée derrière laquelle se cache un couple mère-fille fille-mère. Qui engendre qui ? La mort met-elle au monde ? La vie accélère-t-elle la perspective de la fin ?  
 
Ces personnages murmurés sont des matières corporelles qui dialoguent, s’interrogent, et veillent à ce que l’épuisement n’épuise pas la langue. Ressuscitée, celle-ci se met à danser. Dance of Death. La sirène excède son corps et les mots infiltrent la voix : « Les deux jambes que tu m’as données/dansent sur ta voix maman/battent le sol sans compter/dansent deux/jambes une/boîte muette. » Ma fille, nous irons danser, ma mère, nous irons valser. Ce bal, nécessairement, s’achève à minuit, lorsqu’il fait si jour dans la nuit.  
 
La folie comme explosion ou implosion ? Elle contamine, en tout cas, l’ordre et la morphologie du conte comme dissidence. Lorsque la légende envahit le réel, la mère meurt en marâtre, le loup oublie de croquer la grand-mère au profit de la mère, et la princesse n’est plus réveillée par aucun prince charmant. Il reste la forêt, les petits cailloux, le sol, les armes, les pièges, et le questionnement, en dépit du doute, qui ne ressemble à rien d’autre qu’à sa propre radicalité.  
 
Mum is down : abri mosaïque, lettre refuge, envoi prolongé, don d’une voix dédoublée. A terre, sous terre, en terre, le livre enterre le corps de la mère et déterre la mère sans corps, mère vrillée au corps de la fille, mère dans la bouche, sur les lèvres, au plus près d’une voix brisée qui, pourtant, ne cassera pas.  
 
[Anne Malaprade] 
 
 
Oscarine Bosquet, Mum is down, Al Dante, 2012, 30 pages, 7€


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