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Jean de LA FONTAINE : Le Lion

Par Unpeudetao

   Sultan Léopard autrefois
   Eut, ce dit-on, par mainte aubaine,
Force boeufs dans ses prés, force cerfs dans ses bois,
   Force moutons parmi la plaine.
Il naquit un Lion dans la forêt prochaine.
Après les compliments et d’une et d’autre part,
   Comme entre grands il se pratique,
Le Sultan fit venir son Vizir le Renard,
   Vieux routier, et bon politique.
Tu crains, ce lui dit-il, Lionceau mon voisin ;
   Son père est mort ; que peut-il faire ?
   Plains plutôt le pauvre orphelin.
   Il a chez lui plus d’une affaire,
   Et devra beaucoup au destin
S’il garde ce qu’il a, sans tenter de conquête. »
   Le Renard dit, branlant la tête :
Tels orphelins, Seigneur, ne me font point pitié :
Il faut de celui-ci conserver l’amitié,
   Ou s’efforcer de le détruire
   Avant que la griffe et la dent
Lui soit crue, et qu’il soit en état de nous nuire.
   N’y perdez pas un seul moment.
J’ai fait son horoscope : il croîtra par la guerre.
   Ce sera le meilleur lion
   Pour ses amis qui soit sur terre :
   Tâchez donc d’en être, sinon
Tâchez de l’affaiblir. La harangue fut vaine.
Le sultan dormait lors ; et dedans son domaine
Chacun dormait aussi, bêtes, gens : tant qu’enfin
Le Lionceau devint vrai Lion. Le tocsin
Sonne aussitôt sur lui ; l’alarme se promène
   De toutes parts ; et le Vizir,
Consulté là-dessus  dit avec un soupir :
Pourquoi l’irritez-vous ? La chose est sans remède.
En vain nous appelons mille gens à notre aide.
Plus ils sont, plus il coûte ; et je ne les tiens bons
   Qu’à manger leur part de mouton.
Apaisez le Lion : seul il passe en puissance
Ce monde d’alliés vivant sur notre bien.
Le Lion en a trois qui ne lui coûtent rien,
Son courage, sa force, avec sa vigilance.
Jetez-lui promptement sous la griffe un mouton :
S’il n’en est pas content, jetez-en davantage.
Joignez-y quelque boeuf : choisissez, pour ce don
   Tout le plus gras du pâturage.
Sauvez le reste ainsi. Ce conseil ne plut pas.
   Il en prit mal ; et force États
   Voisins du sultan en pâtirent :
   Nul n’y gagna, tous y perdirent.
   Quoi que fît ce monde ennemi,
   Celui qu’ils craignaient fut le maître.
Proposez-vous d’avoir un Lion pour ami,
   Si vous voulez le laisser craître.

Jean de LA FONTAINE (1621-1695).

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