Magazine Coaching

Jean-Benoît grandit

Par Jean-Louis Richard

Jbgrandit - Quelle journée Sophie, si mon copain Georges ne m'avait pas soutenu, à l'heure qu'il est j'étais viré, explosé, dispersé ! Du Président de Swen Games, il restait de quoi remplir un sac Tati !

- Vous avez eu chaud aux plumes... comment comptez-vous réagir ?

- Comme d'hab, tout le monde sur le pont, revue d'objectifs, plans d'actions pour avant-hier, ça tu peux me faire confiance, je maîtrise !

Sophie reprit un chocolat. Jean-Benoît commençait à se calmer. Le silence donnait de l'épaisseur au Conseil qui avait failli lui coûter son siège une heure plus tôt.

- C'est tout ce que ça vous fait d'être passé au ras de la porte ?

(Résumé des épisodes précédents : Sophie s'est incrustée, pour une raison encore inconnue, dans le bureau présidentiel de Jean-Benoît, au sommet de la tour Swen Games. Leurs dernières rencontres ont peu à peu conduit Jean-Benoît à travailler sur lui-même. Cette fois, son poste de président est menacé. Les six premiers épisodes sont ici.)

- Comment ça, tout ce que ça me fait, c'est pas suffisant ?

- Vous semblez vouloir oublier très vite cet épisode douloureux, et retourner à l'équilibre précédent.

- Tu ne vas pas m'apprendre mon métier, Sophie !

- Moi, ce que je vous propose de travailler, c'est comment votre métier et l'homme que vous êtes se conjuguent. Alors que l'homme est blessé, le patron se replie sur ses vieilles habitudes. Que craignez-vous ?

- Et en quoi mes VIEILLES habitudes, comme tu dis, seraient une mauvaise option ?

- Ca, je n'en sais rien, chacun son métier. Pourquoi ressortir vos ficelles d'objectifs et de plans d'actions après des émotions aussi fortes ? Pourquoi faire comme si rien de nouveau ne s'était passé ?

- Non, non et non, je ne te suis pas. J'ai senti le vent du boulet, je m'en vais te les remettre grave au boulot, tous mes pingouins bien au chaud, les deux pieds sur leurs moquettes de sénateurs. Ca va pédaler vite et fort. Tout ça ne sera bientôt plus qu'un mauvais souvenir.

- C'est bien ce que je dis. La prochaine fois, vous aimeriez que votre Conseil vous cause au lance-roquettes ?

- Ah, mais tu commences à me courir Sophie, avec ta quincaillerie, que proposes-tu ?

- De travailler tout cela pour élargir votre espace de manoeuvre. Mais si vous préférez rester cramponné à votre espoir de lendemains plus faciles sans rien changer, moi, ça me convient aussi. Tant que vous avez de quoi payer les chocolats...

Sophie déballait avec précaution un de ses chocolats préférés. Elle lissait le papier doré avant d'entamer la friandise. Jean-Benoît n'avait plus faim.

- Bon, essayons, après tout, je n'ai pas grand-chose à perdre. Je suis très en colère, c'est vrai. Si mes gars avaient atteint leurs objectifs, je n'en serais pas là.

- Pourquoi devaient-ils atteindre vos objectifs ?

- La bonne blague, parce que je les paye pour ça !

- Moui, donc, si vous leur fixez pour objectif d'aller sur la Lune, votre prochaine conférence de presse va se passer en direct de la Mer de la Tranquillité...

- Ah non, ils sont déjà pas violents, ils seraient capables de s'y plaire. Tu as quelque chose contre ma gestion par objectifs ?

- Et vous, que faites-vous des objectifs que vous fixe le Conseil ?

- Ah, mais ça n'a rien à voir. Les objectifs du Conseil n'engagent que le Conseil. Je les écoute, puis je fais comme je l'entends. C'est quand même pas le Conseil qui va faire la Loi. Ou alors, qu'ils prennent ma place ?

- C'est un peu ce que je pressentais. En quoi c'est différent entre vous et vos collaborateurs ?

- Euh, j'imaginais avoir un peu plus de poids sur mes gars ?

- Comment pourraient-ils avoir aussi peu de poids que vous vous le représentez ?

- Quand même, qui est-ce qui commande ici ?

- C'est vous, mais seuls les liens entre vous et vos troupes travaillent. Croire que vous avez de l'impact sur des marionnettes, c'est nier leur différence qui est votre seul espoir. Que se passerait-il si d'une minute à l'autre tous les objectifs étaient oubliés ?

- Ca serait sans doute notre plus belle chance. Bon, d'accord, les objectifs, c'est une danse rituelle, le vrai travail est plus subtil. N'empêche, va falloir que j'arrache ce lupanar à sa moquette pure laine, et vite, si je veux survivre à cette mauvaise passe.

- Que faites-vous du seul élément nouveau dont vous disposez dans ce contexte ?

- Explique-toi ?

- Vous avez une idée ?

- Je commence, moi aussi, à connaître tes ficelles. Ce qui est nouveau, et ça n'a pas une heure, c'est ma colère.

- A quoi ferait-elle écho dans l'homme que vous êtes ?

- Elle me fait associer à une colère d'enfant. Je refusais de manger, ma mère m'avait enfermé dans la chambre. Je tapais des poings et des pieds sur la porte. J'étais certain que ma mère allait céder, comme toujours.

- Et plus vous espériez qu'elle cède, plus votre angoisse vous commandait de taper fort.

- J'ai pas tout suivi, tu m'expliqueras. Toujours est-il que, ce soir là, la porte s'ouvre brusquement. Je me précipite...

- ... et vous vous écrasez dans le mur de votre père dressé devant vous.

- Bon sang, tu y étais ?

- Si, ce soir-là, votre mère avait cédé, vous ne seriez pas en train d'en parler.

- J'ai senti le sol se dérober sous mes pieds et j'ai pris une dérouillée d'anthologie... je plaisantais mon père là-dessus pour ses 75 ans la semaine dernière, il prétendait ne plus s'en souvenir.

- Votre colère actuelle, ce serait celle du gamin turbulent, ou celle de votre père ce soir-là ?

- Tout à l'heure, c'était celle du gamin. En te parlant, c'est celle de mon père. Une belle colère d'homme, j'ai mis des années à mesurer tout l'amour paternel qu'il y avait mis. Le père, maintenant, c'est moi. Je fais quoi, de tout ça, pour Swen Games ?

- A votre avis ? Je note au passage que votre paternel, il ne se cachait pas derrière des objectifs et des plans d'actions...

- C'est vrai qu'avec mes troupes je reste plutôt froid...

- Et vous l'exprimez comment, votre amour pour eux ?

- Mon amour pour eux, hé, ho, tu nous prends pour des tafioles ?

- Parce qu'en plus, vous n'avez pas de femmes au comité de direction ? C'est du propre. Laissons vos fantasmes de côté, vous croyez qu'on peut travailler pour quelqu'un sans l'aimer ?

- Euh, dit comme ça, bien sûr, disons qu'il y a entre certains d'entre eux et moi une belle complicité.

- Appelez-ça comme vous voulez, vous ne me ferez pas croire que vous travaillez juste pour un salaire et en laissant vos tripes d'homme à la maison. La question qui se pose à vous, en ce moment, c'est comment vous allez mettre en jeu vos affects et ceux de vos collaborateurs pour rendre cette complicité d'homme à homme plus productive.

- Aïe, ça se corse, les affects, c'est pas mon truc, tu aurais un plan B ?

- Vous en venez. Quel âge vous sentez-vous ?

- Tu le sais Sophie, j'ai 44 ans.

- Je veux dire, au fond de vous, c'est quoi votre âge ?

- C'est très variable, parfois 30 ans, parfois 17, ou même moins, ça dépend de ce qui remonte.

- Pas simple de trouver la distance à toutes ces émotions qui vous ont construit, pas vrai, Jean-Benoît ?

- En même temps, devant toi, j'aimerais bien avoir 9 ans et t'emmener boire un chocolat chaud.

- Profitez pas de ma faiblesse, j'ai tout ce qu'il faut à l'école. Que faites-vous, en ce moment, de ce que nous venons de travailler ?

- Voyons, en vrac : j'ai mon Conseil sur le dos, et je dois trouver les moyens de redresser la situation. Si j'écoute ce qui se passe en moi, ma colère d'homme mûr ouvre la porte à tout ce qui me fait agir, mes désirs, mes peurs, mes liens à mes collaborateurs, et me met face à ma responsabilité d'homme de 44 ans. Si j'admets que les hommes et les femmes qui m'entourent sont aussi profonds que moi, je ne peux compter que sur le mystère de nos relations pour redresser la barre. En même temps, c'est plus risqué de ressentir tout cela, imagine que j'échoue...

- Pour réussir, il vous faut sans doute au moins la force d'échouer, et peut-être un poil plus. Le plan B était moins engageant. Que pourrait-il se passer au pire ?

- Au pire, je m'en sortirais, et je pourrais me regarder en face car j'y aurais mis toutes mes forces, en acceptant le risque maximal pour ma confiance en moi.

- Est-ce que vous prenez plaisir à envisager ces nouvelles options ?

- Un peu, je me sens moins coincé, mon Conseil m'a rendu un grand service en me montrant à quel point il tenait à moi.

- Comme votre père il y a 38 ans ?

- Un chocolat pour la route, Sophie ?

Le téléphone sonna. La grande Sophie faisait patienter le Directeur Asie, accompagné de trois hôtes de marque, tous déjà très en forme.

- 18h, j'ai un accord commercial à signer, moi. La soirée s'annonce très longue.

- Je ne vous demande pas où tout cela va finir, j'imagine que vous n'allez pas les emmener boire un chocolat chaud ?

Bien vu, se dit Jean-Benoît. Les petites filles n'étaient plus ce qu'elles étaient, ou bien avait-elle lancé cela au hasard ?

Sophie se dirigeait vers la porte, bien décidée à savourer la mine ahurie des visiteurs qui s'attendaient à tout, sauf à son 1m28, talons plats inclus.

Elle fut servie. Jean-Benoît, royal, l'embrassa sur les deux joues sous le regard sidéré de l'assistance. Pas de doute, le gorille sortait de sa cage. Les pingouins allaient chausser leurs baskets.

"Jean-Benoît grandit", songeait Sophie. "Dans quelques mois, il pourra entendre la raison de ma venue, patience..."


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