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Disettes et ripailles…

Par Hubjo @conseilresto

La fabuleuse histoire de la cuisine Française (suite)

1789 est une mauvaise année pour l’agriculture. Les orages saccagent les céréales ; puis une sécheresse survient et les bêtes ne trouvent plus d’herbes dans les prairies desséchées ; le fourrage s’épuise et la viande manque. Les rivières asséchées n’entraînent plus les roues des moulins à eau. Le grain devenu rare et cher ne peut même plus être moulu. Les boulangers font du pain noir et amer « qui donne la colique » et la foule croit qu’on l’affame tout exprès ; on injurie les accapareurs et les spéculateurs et le nom du Duc d’Orléans est cité parmi les bêtes noires du peuple. On parle de complot, d’un « Pacte de Famine ». Les Français réclament du pain et vont en cortège à Versailles chercher  » le Boulanger, la Boulangère et le petit mitron ».

Mais on ne veut toujours pas de pommes de terre ; on tente même de démolir les fours de l’académie de Boulangerie que Parmentier à ouvert pour apprendre aux boulangers l’hygiène et les règles de leur métier et où il tente toujours de faire du pain avec de la farine de pommes de terre : le 14 janvier 1790, une foule hurlante tente d’envahir l’académie aux cris de « qu’il les avale lui-même ses pommes de terre, qu’il s’en étouffe! »

Parmentier doit faire appel à l’armée !

Le retour du Roi à Paris coïncide heureusement avec le retour de la pluie, les moulins se remettent à tourner, on fait venir du blé de l’étranger et en 1790 et 1791 les récoltes sont normales ; les esprits se calment. L’abondance est revenue très vite : un voyageur de Besançon arrive en 1791 dans la capitale « assommé d’avoir trop bien mangé et trop bien bu tout au long du voyage ». Chez un traiteur à Paris il mange pour quatorze sols, six deniers le plat et deux sols de pains ; voici son menu :

« Deux assiettes de potage de vermicelle, un gros morceau de mouton avec légumes et du beau pain et, ajoute-t-il, dans un plat il y en a pour deux! »

Mais l’idéologie et la politique à leur tour influencent l’économie ; l’armée de Coblence est aux frontières de l’Est. Il faut lever une armée populaire et la nourrir. A l’ouest l’insurrection de Vendée mobilise une autre armée et prive la capitale du cheptel et du poisson des côtes. Les assignats baissent chaque jour et les paysans inquiets cachent leur grain. La disette est près de s’installer. Il suffit que 1793 soit une année particulièrement sèche pour qu’à nouveau les moulins s’arrêtent de tourner ; les étables se vident, les files d’attente s’allongent devant les boulangeries. En septembre-octobre 1793 la Convention prend des mesures de rationnement et de taxation ; la carte de pain est instituée et promulguée la « loi du Maximum » fixant le cours plafond des denrées alimentaires.

Disettes et ripailles…

Une boulangerie à la fin du XVIII ° siècle

Le gouvernement envisage même d’instituer un »carême civique ». La démagogie s’en mêle : on plante des légumes aux Tuileries et au Luxembourg alors qu’il en faudrait des tonnes pour nourrir les Parisiens. On déclare que « les vrais révolutionnaires  les patriotes, doivent vivre aussi frugalement que les Spartiates ou que les Romains de la République. »

En fait, le marché noir s’installe, les bouchers, les épiciers, les crémiers, les marchands de légumes vendent les déchets, les abats, les rebuts, aux « prix maximum ». Mais les bons et beaux morceaux atteignent des prix exorbitants et les bons restaurants continuent à offrir une carte pantagruélique dont se gobergent d’ailleurs les députés qui prônent en public la frugalité : Chez Méot, dans l’ancien hôtel d’Argenson, on dîne pour 10 livres tout en rédigeant la constitution de 1793, alors que les pauvres meurent presque de  faim…

Cambacérès, Président du Comité de Salut-Public, déclare sans ambage :

« J’ai pour principe que les hommes livrés aux durs travaux de l’assemblée et à ceux du comité doivent être pourvus de bons restaurants, sans quoi ils succombent sous le poids de leur labeur. »

A la buvette du Comité, on servira affectivement un excellent pot-au-feu, de la longe de veau, du poisson frais, des pâtes, des desserts, du pain blanc et du vin de Bourgogne.

Seul Robespierre, d’ailleurs petit mangeur, tentera de freiner la goinfrerie de ses confrères sans y parvenir le moins du monde.

Disettes et ripailles…

Le secours du potage : « l’indigent secouru d’un zèle charitable »

La Convention institue la carte de viande : une livre de viande par personne tous les dix jours, mais sans succès car « la viande n’arrive pas à Paris « .

Comment y arriverait-elle puis que les bouchers parisiens vont chaque jour chez leurs fournisseurs, ce qui est bon pour leurs clients riches et les restaurants chics. Le pain noir est indigeste, il fait aussi l’objet de trafic ; à Bordeaux où il est encore plus mauvais qu’à Paris, la foule n’ose pas  murmurer en voyant le pain blanc destiné aux « représentants du peuple » : Elle a bien trop peur de perdre la tête!…

Dans les campagnes on est beaucoup moins malheureux. Le paysan cache son grain, fait du pain blanc et en vend un peu et fort cher aux gens de la ville qui le supplient. On offre un pain blanc aux dames comme une friandise et un hommage :  » Je m’attendais, dit l’une, à ce qu’on nous offrit de la même manière des oignons et des pommes de terre ».

Des pommes de terre ! La disette est la meilleure alliée de Parmentier. Le gouvernement de la République envoie en province des émissaires chargés de propager le tubercule miraculeux : au pays de Caux nul n’en a encore entendu parler en 1793.

Un de ces émissaires, Cathola, ancien auteur dramatique, arrivant dans un village de l’Ariège, a la surprise de voir sur une table paysanne tout un repas de « truffes blanches » et du pain « blanc comme neige », obtenu avec de la farine de blé mêlée à de la farine de pomme de terre. En effet, l’évêque de Castres, en 1765 sur recommandation du gouvernement royal, a fait distribuer des tubercules à ses curés avec mission de les planter et d’apprendre aux paysans à les cultiver et à les apprêter.

( à suivre )

Source : La fabuleuse histoire de la Cuisine Française d’Henriette Parienté et Geneviève de Ternant


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