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[anthologie permanente] Nathaniel Tarn

Par Florence Trocmé

Les éditions Vif, récemment créées par Philippe Lorrain et Fiona Lorrain-Sze, publient un très beau livre, Sur les fleuves de la forêt du poète américain Nathaniel Tarn, dans une traduction d’Auxeméry. On peut lire aussi cet autre poème que Poezibao avait publié en avant-première dès 2009. 
  
9. Les Golden Globes de la surespérance 
 
   « Je t’ verrais bien r’cevoir ce golden globe. » 
   John Hartford 
  
Intervention réussie. Ganglion sentinelle*non atteint 
par la maladie dans sa prolifération meurtrière — 
nécessité toutefois vérification suites pathologiques. 
Les golden globes, ces fertiles globes 
dorés de toute taille, forme, texture, fournis 
en conformité avec le paradigme global de taille, forme, texture — 
après lequel court en permanence la précaire attention des hommes — 
mais ils sont dangereux. Ils disent le scénario 
de la tragédie. Petits globes se développent en globes plus gros, 
chacun contenant le crabe, mon légendaire totem, 
celui dont, dans cette culpabilité du désastre, et sans possible repos, 
je me suis servi pour tuer toutes, et bien plus, les populations du monde. 
Surtout, le peuple du rêve, brisé, langue perdue. 
Telle est la dernière envolée des indigènes : 
l’époque où nous leur prenons la terre de leur pays — car arrive que pourra, 
que nous soyons de droite ou de gauche en politique, 
il nous faut cette terre et nous n’en pouvons plus de la tenir. 
Pays, pétrole : l’époque des dépouilles arrive. Les pétroliers criminels 
et leur marionnette maniaque ne font chaque jour que coasser Irak Irak. 
Il existe de bonnes raisons pour en terminer avec cet 
Irak Irak. Mon père, lui, n’a jamais tiré son coup d’Irak Irak. 
Et à présent, la pluie, ce matin. Arbres brunis, 
la mort à l’œuvre en eux par milliers — eux qui n’étaient pas nés pour mourir 
arbres immortels — ils continuent à mourir. Mais la pluie fait ressortir les pousses 
vertes des jeunes, au bout de chaque branche en vie, là par contraste 
[parfois en contraste éclatant], debout près d’un arbre bruni, 
et l’espoir, proche parent de la délivrance éblouie des fameux globes, 
renversant l’homme encore, encore et encore — le fait sombrer dans le sommeil 
du juste. Mais ce brun, ce brun-là, c’est l’insoutenable : 
ils sont trop peu pour conserver les biens ; nous sommes trop nombreux à présent 
pour ne pas emporter les biens : le centre ne peut tenir, ni la périphérie — 
le globe de fer qui nourrit la pourriture du monde 
doit, sec et sans lait, au matin aboyer à la lune une fois de plus 
à la façon des coyotes de notre pays natal. L’État 
est une entreprise tellement criminelle depuis l’époque de sa conception 
qu’il est miraculeux qu’un arbre ait jamais pu pousser là, un seul arbre, 
ne parlons pas de forêt. Il est en guerre contre l’univers entier 
il arbore son accoutrement de paix et ses ailes d’ange, 
débite son auto-satisfaction en tournant autour du pot, et bat des ailes 
en direction de l’Irak. Jadis c’était Nam et Nam 
et puis les cibles ont rapetissé jusqu’à 
cette frappe de géant sur la Glorieuse Grenade. De nos jours, 
ça repousse, ça bouffit, ça regonfle le globe de fer 
[notre empire s’étendra au monde entier], si ce n’est que le globe 
est noir de sable, noir d’encre cette fois-ci, 
noir comme la peau humaine carbonisée 
au dernier degré. L’espoir, seule source de poésie, 
picore sa sortie hors de ce paradis et vers aucun autre enfer. 
Nathaniel Tarn, Sur les Fleuves de la forêt, traduction Auxeméry, édition bilingue, Vif Editions, 2013, p. 101 
*Le ganglion sentinelle est ainsi nommé car il permet de déterminer avec certitude les risques de cancer du sein 
 
écouter Nathaniel Tarn lire ce poème en anglais 
Version originale à venir 
Nathaniel Tarn dans Poezibao :  
bio-bibliographie, extrait 1, ext. 2, ext. 3, lettre ouverte à Auxeméry sur sa traduction du Maximus d’Olson


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