Magazine Culture

[feuilleton] Antoine Emaz, « Planche », 10/20

Par Florence Trocmé

Il y a une frustration normale de vivre du fait simple qu’il n’y a jamais adéquation (sauf extraordinaire) entre désir et réalité.  
La force motrice, la conscience de l’en deçà, du moins, du manque, fonctionne tant que l’équilibre est à peu près tenu entre le désir de déformer le réel et la force d’inertie de ce dernier. Tant qu’on gagne un peu et qu’on perd à peu près autant, on peut continuer la partie. Lorsqu’il y a déséquilibre et que la déception l’emporte trop, c’est plus inquiétant. Surtout en vieillissant, lorsqu’on passe insensiblement de « je ferai cela demain » à « j’aurais dû le faire hier ». L’emploi du temps d’une vie. 
*** 
À nouveau, discrète, comme en sous-main, l’odeur des violettes. 
*** 
Pas entendu parler du projet Coup de barre depuis six mois. Rien d’important. C’est l’avantage aussi des livres d’artistes ; le plus souvent, ils n’engagent qu’un poème, donc le reste du travail peut suivre son cours. Qu’il s’agisse de l’artiste ou du poète, on peut s’attendre durablement. D’autant plus que des boulots anciens, presqu’oubliés, finissent par se faire. Et puis personne n’attend le livre, et peu l’auront entre les mains ; c’est une sorte d’affaire inter nos, le plaisir de travailler ensemble. 
*** 
Lecture : les silences. Leur poids est le propre de la poésie et des notes. L’interruption, la coupe sont des ruptures par rapport à la langue continue, normale, usuelle et usagée. Là, on peut respirer. Même si c’est l’angoisse qui est donnée à lire. Tenir les silences, les pauses ; voire, à l’oral, les outrer. Inversement, on peut proposer une sorte de continu de langue, une parole qui se dévide sans arrêt, un soliloque de fou ; c’est un peu ce qui se passe dans mes proses boueuses. 
*** 
Matinée : oraux blancs de bac. Pas trop de mal, écoute flottante. Quelques élèves brillants, mais la plupart restent assez ternes. Quelques-uns, les plus drôles, s’emberlificotent dans leurs mensonges mal ficelés ou des aveux de pénitents faussement repentants. Ensuite, Carrefour pour cause de frigo vide. Un peu de temps, et puis CA du lycée. Bonne journée. 
*** 
Belle matinée de printemps. Ciel gauloises. Je vais me mettre aux copies avant de ne plus en avoir envie. Mais cette lumière… 
Content de la potée de géraniums rouges. L’œil se fixe sur elle parce qu’elle est encore inhabituelle après l’hiver. Lilas de plus en plus fourni. 
*** 
Le silence comme marge et cœur du poème. Avant, pendant, après, entre les mots, entre les séquences du poème, entre les poèmes, entre les livres. Une sorte d’immense fond silencieux toujours présent, d’où les mots viennent et où ils retournent. 
Distinguer le silence pur vide, et celui un peu différent d’avant-mot, quand la langue n’est pas formée encore, mais on la sent arriver, se préciser jusqu’à devenir parole. Ou bien après-mot, comme l’erre d’un vers, son écho indistinct qui faiblit jusqu’à rien. 
*** 
Ville comme un mercredi après-midi de printemps : rues piétonnes pleine de piétons, jardin public plein de public. Impression de malaise dans ce trop de gens ; envie de revenir à ma table, face au jardin calme. 
épisodes 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9,
suite mercredi 30janvier 2013  
©Antoine_Emaz 


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Florence Trocmé 18683 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines