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[note de lecture] "Nouveau fatrassier" de Jean-Pascal Dubost, par Pierre Drogi

Par Florence Trocmé


DubostVoici la suite de Et leçons et coutures… [paru aux éditions Isabelle Sauvage, en juin 2012]. Voici le fatrassier nouveau sous le titre de Nouveau fatrassier aux mêmes éditions Tarabuste [Fatrassier, 2007], dans la collection « reprise ». 
Et c’est en effet le même en augmenté, et par conséquent pas du tout le même : Jean-Pascal Dubost nous y propose un travail approfondi, démultiplié, que l’auteur (auctor) a augmenté et recreusé, où le livre « ancien » se métamorphose, se déploie, s’accompagne de sa réécriture partielle et de sa glose, de plus en plus devient son propre laboratoire et alambic. De cette « augmentation », le livre gagne une nouvelle profondeur, entre autres profondeur de champ, une nouvelle dimension de lecture accessible et offerte d’emblée au lecteur. 
Jean-Pascal Dubost y prend son propre travail à revers de deux manières car il pratique (et juxtapose) deux manières d’augmenter : la réécriture d’une part, et le commentaire. 
Certaines sections du livre se trouvent doublées systématiquement, présentant en regard du texte « ancien », un texte « nouvelle manière » correspondant à une humeur et à un tour de bouche de maintenant ou « du jour ». Le livre se r’ouvre ainsi, se réinvente, refuse la posture du clos, de l’achevé. « Le poème est un ramas d’incertitudes : c’est une certitude ; qui se travaille continuellement, et infiniment. » 
Les commentaires précisent ce que le lecteur voit à l’œuvre : revendication ombrageuse d'une singularité modeste, d'une modestie singulière. Avec comme proposition : refus de se fondre dans l’uniformité ou le conformisme, refus d'une originalité de surface et position assumée d'une voix qui n'est ni je (moi-je) ni Livre (comme espace clos, achevé, parfait). « Nulle chose est faite et parfaite. Je fais du brouillon continué une idée douce de l’humilité : je travaille à réduire ma vanité. » 
C’est un livre où, surtout, la langue (malaxée par celui qui la travaille) finit par définir un espace figuratif étrange, quasi fantasmagorique, intermédiaire entre l’auteur et nous, entre les choses de chair et l’épaisseur que les dictionnaires et l’usage confèrent aux mots. Fantasmagorie en train de se dessiner sous les yeux de l’esprit et dans la bouche, pleine d’adhérences et de coalescences, et que l’auteur monte et démonte avec nous, nous fait éprouver et goûter tout en en exhibant le leurre. 
C’est ainsi un livre qui, après avoir paru opérer la confusion entre cuisine et rhétorique, tambouille linguistique et sapide, brouille les repères entre nommable et nommé, instrument qui nomme, appelé « mot » ou « terme », et chose échappée à l’instrument qui nomme ! Qui perturbe les catégories de dehors et de dedans (de réalisme et de nominalisme ?) et décrit, de façon à la fois nue et peuplée, un espace où faire passer - singulier et solitaire, singularis, chacun - des sangliers revendiqués « de bouche ». 
On pourrait dire que d’une certaine manière les choses y perdent de leur épaisseur par le fait d’être nommées et que les mots au contraire y gagnent une certaine carnalité… d’ailleurs illusoire. De cet aller-retour (de cet imparfait échange de propriétés) naîtrait étrangement cette créature biscornue appelée poème. 
Nous rencontrerons donc, en lisant ce livre, à la fois les originaux sylvestres et leurs doubles de langue, leurs simulacres littéraires, ceux que j’appelais plus haut « de bouche »… 
Espace aussi de développement de la langue et des mots d’un texte à l’autre… Comme dans une chambre noire, les mots des textes de la version 1 se trouvent parfois développés comme on développait, naguère, une photo : le mot « prétexte » pris en son sens courant dans le premier Fatrassier devient, par ricochet étymologique, prétexte à une variation sur la toge du même nom, par laquelle les sangliers se drapent de dignité romaine, dans la version retravaillée ! 
Pour tout dire, c’est une nouvelle fois, après Et leçons et coutures, un grand bonheur de lire, lui aussi augmenté. Ce livre « officiellement » paru avant Et leçons et coutures en découle sous sa forme nouvelle, il en dérive ; il s’y est enrichi. Une grosse boule de neige qui depuis Le Défait [paru aux éditions Champ Vallon, 2010] ne cesse de grossir et de bonifier, que ce travail d’écriture et de remise en bouche - de fermenter aussi comme un vin, de plus en plus riche en tanins et en arômes. 
Il a du toutou ce livre, je veux dire du chien, laissons-le courir : « Et son nom estoit Kakemphaton » ! Le lecteur de la page 145 me comprendra. 
[Pierre Drogi] 
Jean-Pascal Dubost, Nouveau fatrassier, coll. Reprises, éd. Tarabuste, 2012 , 11€


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