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[entretien] avec Laurent Albarracin

Par Florence Trocmé

Florence Trocmé : En 2009, nous avions mené un entretien, dans Poezibao, sur la création d’une collection de poésie, le Cadran ligné. Ce serait bien de faire le bilan, après ces quatre premières années. Avez-vous pu réaliser vos objectifs, quels poètes avez-vous publiés, combien de livres ?  
Laurent Albarracin : J’ai publié depuis 2009, en douze séries, soixante titres et soixante auteurs différents, ainsi que six traducteurs, dont voici la liste : Laurent Albarracin, Pierre Peuchmaurd, Anne-Marie Beeckman, Christian Viguié, Louis-François Delisse, Werner Lambersy, Franck André Jamme, Olivier Hervy, Éric Chevillard, Roger Munier, Antonio Porchia (traduit par Martine Joulia), Jean-Paul Michel, Christophe Van Rossom, Jean-Yves Bériou, Fabrice Caravaca, Joël Gayraud, Jean-Louis Rambour, Virgile Novarina, Éric Benveniste, Stéphane Maignan, Jean Gabriel Cosculluela, Gilles Weinzaepflen, Jacques Abeille, Claude Margat, Ivar Ch'Vavar, Michel Valprémy, Thomas Duranteau, Dominique Noguez, Marie Huot, Yves Peyré, Benoît Chaput, Paule Marie Duquesnoy, Manuel Anceau, Isabelle Dalbe, Didier Ayres, Jean-François Mathé, Abdelmajid Benjelloun, Jean-Luc Peurot, Christian Ducos, Anne Marbrun, Sappho (traduit par Joël Gayraud), Leopardi (traduit par Philippe Di Meo), Thomas A. Clark (traduit par Benjamin Vareille), un anonyme irlandais du Xème siècle translaté par Jean-Yves Bériou, Constantin Cavàfis (traduit par Michel Volkovitch), Alain Roussel, Jean Maison, Denys-Louis Colaux, Alice Massénat, Salah Stétié, Pierre Bergounioux, Romain Fustier, Benjamin Vareille, Matthieu Messagier, Louison Chéné, Patrick Fregonara, Jean-Luc Coudray, Mauro Placì, Denis Péan, Serge Pey. 
Tous les textes ne sont pas des poèmes, il y a quelques proses, des aphorismes, un écrit de nuit (c’est-à-dire une phrase de sommeil, de Virgile Novarina), une enquête journalistique définitive (La Vérité sur le salaire des cadres, d’Eric Chevillard).  
Je ne sais pas si j’ai réalisé mes objectifs mais les principes d’éclectisme et de bon plaisir, eux, en tout cas, ont comme je m’y attendais prévalu dans mes choix.  
Florence Trocmé : Avez-vous l’impression que vous avez été fidèle au programme que vous dessiniez alors et en particulier à cette idée de donner sa place à une poésie « qui fonctionne à l’image », comme vous me l’écriviez alors ? Et le défi, car c’est est un, un seul poème très court, par publication, a-t-il été difficile à tenir ? 
 
Laurent Albarracin
 :   
C’est en effet une poésie de l’image qui prédomine dans mon catalogue. Par là j’entends simplement une poésie qui donne à voir, ou à penser, ou à sourire, en tout cas une poésie dont les formulations se veulent homogènes à l’objet dont elles s’emparent, par une sorte de transport (le trope de l’image) de l’objet à l’intérieur de la langue. Il me semble toujours que la trouvaille, le bonheur d’expression, la métaphore et l’audace stylistique éclairent d’un jour neuf ce qui est dit, dans la manière de le dire particulière à chaque poète. Je crois qu’un poème, ou parfois un seul vers de ce poème, se doit de soulever comme paradoxe l’évidence du monde. Un poème c’est d’abord pour moi une vision du monde, au sens où s’effectuent là des rapprochements inédits entre les choses, ou bien au contraire que s’y creuse une faille dans l’appréhension des choses où s’engouffre le tout de la chose. Bref. Je ne sais pas si tous les auteurs que j’ai publiés se reconnaîtront dans ce propos, mais oui, j’aime et je défends une poésie de l’image.  
Quant au défi du poème court unique, j’avoue avoir plusieurs fois dérogé à la règle, et on trouve parmi ces plaquettes, malgré la pagination réduite qu’impose le feuillet plié en quatre, de petites suites de poèmes par exemple. La plupart du temps, pourtant, ce sont bien des livres « d’un seul poème », et j’ai plaisir à choisir des poèmes assez denses et ramassés pour qu’ils se suffisent à eux-mêmes isolés sur une page. Puisque le poème doit être court, il faut qu’il soit frappant, qu’il aille à l’essentiel, à une façon d’essentiel. La concision appelle la précision, mais une précision la plus vaste possible, si je puis dire, et la plus océanique. C’est justement la poésie de l’image qui permet cette saisie fulgurante et à la fois flottante du réel.  
 
Florence Trocmé
 : Avez-vous l’impression qu’une évolution s’est dessinée au fur et à mesure que la collection grandissait… ? Et puis aujourd’hui, évènement important, vous venez de publier un premier livre. Est-ce un accident lié à une nécessité impérative (la découverte d’un texte) ou bien cela représente-t-il une étape dans votre travail d’éditeur ? Dites-nous ce qu’est ce livre ? Qui en est l’auteur ? Et s’il inaugure une collection chez vous, une collection qui serait particulièrement tournée vers le rapport de la poésie et de la peinture ?  
Laurent Albarracin :   
Si évolution il y a, elle n’apparait que rétrospectivement, et je préfère naviguer à vue, faire escale où bon me semble plutôt que de figer les choses en tentant de repérer une évolution. Le paysage se dessine au fur et à mesure qu’on le traverse.  
Oui, parallèlement à la collection de plaquettes, je publie un livre de Pierre Bergounioux et Jean-Pierre Bréchet, Trait fragile. C’est le hasard d’une rencontre avec le peintre Jean-Pierre Bréchet qui a permis que ce projet naisse et aboutisse. Comme je tiens depuis longtemps Bergounioux pour l’un des plus grands prosateurs français actuels, sinon le plus grand, et que la peinture de Bréchet me plait également, je ne pouvais pas refuser de faire ce livre. Il s’agit d’un essai de Pierre Bergounioux sur l’œuvre peinte de Jean-Pierre Bréchet. Comme à l’habitude chez Bergounioux, son écriture dépasse le simple essai critique et traverse plusieurs champs de savoir, brasse les grandes temporalités. L’étonnant est que ce premier livre est un essai d’un prosateur, alors que je suis censé publier plutôt de la poésie. C’est donc une sorte d’accident heureux, très heureux pour moi, que ce livre. J’aimerais continuer la collection de « livres d’un seul poème » et publier de temps en temps, peut-être une fois l’an, un livre un peu plus conséquent, pas forcément sur les rapports de la poésie et de la peinture. Le prochain livre devrait être un texte de Boris Wolowiec, un poète remarquable qui n’a à ce jour jamais publié mais dont l’œuvre est déjà monumentale, par la taille comme par son importance, je crois. 
  
Florence Trocmé : Il y a aussi un tirage de tête…. Voulez-vous développer une dimension bibliophilie, ou bien aborder le livre d’artistes ?  
  
Laurent Albarracin :   
Pas spécialement. Les lithographies de Bréchet (insérées dans le tirage de tête et reproduites dans l’édition courante) appelaient naturellement une édition plus luxueuse sur grand papier, dans un format (19 x 25 cm) qui donne à voir confortablement ces lithographies. Je pense recentrer désormais les éditions vers la publication de livres de poésie, plus strictement de poésie, et dans un format plus classique et moins coûteux peut-être, mais tout est ouvert. La tentation du beau livre me tirera peut-être encore par la manche. Nous verrons.  


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