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[note de lecture] Seyhmus Dagtekin, "Élégies pour ma mère", par Jacques Morin

Par Florence Trocmé


Dagtekin-elegies- copieDans la colère pétrifiée de la nuit Seyhmus Dagtekin écrit en quatrième de couverture : « Ce recueil est un hommage à la langue de ma mère… ». Ecrit entre le français, langue d’écriture, et le kurde, langue d’origine, le livre lui est entièrement dédié, du titre aux dix-sept chants qui en composent l’ensemble. Mais on n’est guère dans le noir du deuil ou le larmoiement de la tristesse. Chaque poème donne à entendre la parole tendrement lyrique de l’auteur qui  réinvestit son enfance. Chaque poème résonne du souffle et de l’espace des montagnes du Kurdistan, avec ses ânes, ses caprins, ses vautours et ses chiens, et son peuple, hommes, vieilles, enfants… Poule remplissant le creux des yeux avec ses œufs en couvaison. La plupart des textes ont une posture vocative, avec des ô qui désignent de façon itérative à qui s’adresse le poète ; aussi bien le père, l’oncle, la folle, le berger, le fils ou l’aveugle… Avec tous ces personnages, on aboutit à une œuvre chorale où les compositions se répondent en échos. Le chant est un dialogue et le lecteur fait l’intermédiaire entre le poète et le récitant. Nombre d’impératifs témoignent de ce travail de prières ou d’interdits, Calme l’eau dans la citerne de ta patience ou Abreuve ton cœur avec des bœufs de labour. Seyhmus Dagtekin offre une poésie, un peu aride, un peu sauvage, à la fois entêtante et envoûtante où les choses ordinaires mutent par simple équivalence, changent d’état à vue : Village est soir, soir est serpent. Le sorcier n’est pas éloigné de la folie, souvent évoquée dans ses lignes, et l’on voisine l’imprécation où la langue s’imprègne de pouvoirs absolus. Le mot est une épine dans la nuit / Un précipice dans le ventre des chiens. Rien ne paraît plus impossible dans ces conditions, il suffit de se laisser prendre à l’étonnante lecture d’un monde aux images démultipliées et dépolies lorsque l’invention permanente est motrice : Nous avons laissé boiter nos criquets sous les averses 
 
[Jacques Morin] 
 
Seyhmus Dagtekin, Élégies pour ma mère, Le Castor Astral, 2013 


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