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[note de lecture] Didier Cahen, "Les sept livres", par Antoine Emaz

Par Florence Trocmé

CahenLe titre interloque : l’article défini semble impliquer un ensemble fermé, présumé connu. Le chiffre sept a-t-il une portée symbolique ? « Livres », sans complément ? Ce volume est effectivement constitué de sept parties, ou séquences : faut-il les considérer comme indépendantes, autonomes ? A bien regarder la table des matières se dessine une sorte de symétrie à partir du « livre » central, « Vies Parallèles ». « Désordre » répond à « Capharnaüm », « Empreintes » à « Rechute », « Frayeur » à « Mal parti ». On pourrait être tenté de lire ainsi l’ouvrage, comme en miroir à partir d’un axe central, surtout que le poème le plus long de la séquence médiane s’intitule « La vie du poète ». Mais il y a trop d’éléments transversaux et pas assez de reprises distinctives formelles pour que l’on puisse s’en tenir à une composition rigoureusement symétrique : il vaut mieux voir une sorte d’équilibre libre de l’ensemble. 
La première partie et la dernière donnent comme en boucle ce qui fait le socle existentiel du livre : une expérience du mal-être. « Je crache/une tache de sang…/de langue…//je suis… /… //On se relève/et ainsi de suite/comme un  récit/écrit par je ne sais qui (…) on souffle/on fait comme si/on sait que rien ne presse…//heureux/on fait de son mieux/et de plain-pied/touché/on se fait vieux » (pp.20-21). Et à la fin du livre : « Un long récit ? //Mur gris et sale//Je respire contre//Le quotidien/Pour toute réponse » (p.184), « Creuser…//Désenchanter / Le verbe… // Rien de bien grave // J’apprends / A entairer mes morts »(p.189). 
Nul doute que ce soit une poésie du désenchantement, de la lassitude et de l’usure, mais c’est aussi une poésie de la résistance ou de la persistance : « on se relève »(p.140),  « Je fais / L’effort de vivre// De tenir contre »(p.192). Cette tension entre écrasement et révolte, qui recoupe celle entre souffrance et jeu, ou celle entre silence et parole, est une des forces du livre. Elle se manifeste aussi dans l’écriture : tous les poèmes sont en vers libres courts mais à l’intérieur de cette forme on retrouve une tension entre la puissance de la verticalité et la fragmentation des éléments constitutifs jusqu’à la bribe ou le mot isolé par des tirets ou des points de suspension, notamment dans « Empreintes » et « Vite fait ». 
Une autre interrogation insiste à la lecture : l’identité. Il n’y a pas d’hésitation entre le « je » et le « on » mais une juxtaposition problématique. « Une sale erreur/Pour toute/Identité » (p.85), « Un je/brouillard/ou l’autre » (p.89), « Pluriel. Je me cherche et dénombre/Visage à forme de vent éteint/Pour faire basculer l’absence » (p.158). Là encore, ce qui est intéressant et juste dans la poésie de Didier Cahen, c’est qu’il laisse la question ouverte en juxtaposant des réponses possibles. Cette crise de soi peut être un poids : « On s’imagine/les bras chargés/de soi/on veille au grain/on cherche » (p.8). Mais elle peut aussi bien être une tentative pour rejoindre l’autre : « Un je/chanté plus haut/qui plonge/dans l’âme humaine » (p.138), « La déchirure…/qu’on aimerait bien/traduire (…) /Poème noué au ventre/et tout ce qui va avec//Refuge en forme d’ombre/le gris…//…le blanc sali/d’une existence inquiète »( p.147).  
Il y a bien chez Cahen une forme de foi résiduelle dans les pouvoirs de la parole : « j’existe au bord des lèvres » (p.9), ou « On parle/gris et sale/le nez dans la poussière » (p.143). Mais il y a tout autant conscience de la fragilité de cette parole tournée vers l’autre : ou bien parce qu’elle peut tarir (« Sur le chemin/se taire//Les mots résonnent/à sec//Le mur/où la mémoire… » (p.143)), ou bien parce qu’il n’y a personne en face : « quelqu’un ? / plus loin ?// rien que/des miettes de pain »(p.30). 
Plutôt qu’une poésie de l’échec, c’est une poésie de l’obstacle, mais il n’est pas transparent : « J’aurais voulu parler sans images, pousser/simplement la porte »(p.154). 
[Antoine Emaz] 
 
Didier Cahen, Les sept livres, Ed. La lettre volée, 204 pages, 23€ 


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