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[anthologie permanente] Arséni Tarkovski

Par Florence Trocmé

Les éditions Fario publient un très beau livre, L’Avenir seul, poèmes d’Arséni Tarkovski (1907-1989) qui fut notamment un ami de Marina Tsvetaeva et d’Anne Akhmatova (et le père du cinéaste). (note bio-bibliographique
 
La forêt d’Ignatiev 
 
Sur le ciel, le bûcher des dernières feuilles 
S’élève, et sur ton chemin même 
toute cette forêt vivante est irritée : 
Nous vivons avec toi cette dernière année.  
 
Dans mes yeux en larmes la route se reflète, 
Comme les arbres sur une terre inondée. 
Ne fais pas la fine bouche ni ne t’énerve, 
Ne blesse pas le silence de la forêt 
 
Humide : écoute le souffle de l’ancienne vie. 
Les champignons gluants croissent dans l’herbe trempée,  
On les rongeait au cœur 
Et malgré tout la peur nous faisait frissonner. 
 
Toute notre passé ressemble à une menace –  
À présent je reviens, je le tue sur-le-champ. 
Le ciel se pelotonne, l’érable est une rose, - 
Qu’il brûle encore plus fort, presque contre les yeux.  
 
○ 
 
Elabouga* 
 
J’appelle – mais à poings fermés Marina dort. 
Elabouga, Elabouga, glaise de cimetière, 
 
Ton nom serait celui d’un fichu marécage, 
On verrouillerait sa porte avec un tel mot.  
 
Même les chenapans tu leur ferais peur,  
Marchands et brigands doivent remplir tes tombeaux.  
 
Sur qui as-tu soufflé un froid féroce ?  
Pour qui as-tu été l’ultime abri de terre ?  
 
À qui ce cri de cygne avant l’aube ?  
Tu entendis Marina, son dernier mot.  
 
A présente, maudite, - tu ne pleures donc rien ? 
C’est ton or qui brille et tu caches Marina !  
 
*Elabouga est la ville où, le 31 Août 1941, se pendit Marina Tsvetaeva. 
 
○ 
 
Que Vincent Van Gogh me pardonne : 
Je n’ai pas sur le secourir ; 
 
Je n’ai pas étendu sur son chemin brûlé 
L’herbe devant ses pas,  
 
Je n’ai pas dénoué la courroie 
De ses chaussures poudreuses,  
 
Je ne lui ai pas donné à boire 
Ni ne l’empêchai de se brûler la cervelle.  
 
Au-dessus de moi me menaçait 
Serré comme une flamme, un cyprès. 
 
Jaune citron et bleu marine : 
Sans eux je ne serai pas devenu moi-même ; 
 
J’aurais humilié mon propre verbe 
Si j’avais laissé choir ce fardeau.  
 
Mais cette rudesse d’ange avec laquelle 
Il a rapproché son coup de pinceau 
 
De ma ligne écrite, vous conduit 
À travers même ses pupilles 
 
Jusqu’aux étoiles où Van Gogh respire.  
 
L’Avenir seul, Poèmes, traduction et présentation de Christian Mouze, postface d’Anne Akhmatova, édition bilingue, éditions Fario, 2013, 20€, pp. 23, 43, 73.  
 
Bio-bibliographie d’Arséni Tarkovski.


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