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Sonate d’automne : Pour ton anniversaire – Zum Geburtstag de Denis Dercourt

Par Memoiredeurope @echternach

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Parmi les mythologies du centre de l’Europe, un des récits initiatiques décliné sous différentes formes raconte comment pour l’amour d'une jeune femme, un jeune homme s’est fait chasseur et a pactisé avec le diable pour qu’aucune de ses balles ne rate sa cible. Mais le diable est plus malin que lui : lorsqu’il lui faut prouver son adresse, le jeune homme tire sa dernière balle sur une colombe, mais elle frappe sa bien-aimée en plein front. Le jeune homme devient fou, et les parents de celle-ci meurent de chagrin. Ce mythe a donné naissance à l’opéra de Carl Maria von Weber, « Der Freischütz » et dans une grande mesure au film que le cinéaste français Denis Dercourt a tourné en Allemagne : « Zum Geburtstag »

Ce créateur, à qui on doit déjà neuf films, est aussi musicien, ou pour mieux dire, il s’agit d’un musicien qui a décidé d’écrire et dont l’écriture l’a conduit à faire incarner les personnages qu’il crée par des acteurs et à passer un jour le mur invisible qui sépare la virtualité du récit à la matérialité du film.

Il enseigne l’alto au conservatoire de Strasbourg. Il vit depuis peu de temps à Berlin. Il se promène de ce fait sur le fil de récits fondateurs européens et nous propose ainsi un parcours musical dramatique dont il avoue la construction sous forme d’une succession de tensions et de détentes entre les interventions de ses personnages. Une construction comparable à celle qui prévaut dans les cadences du dialogue entre instruments lorsque, dans les sonates tragiques pour plusieurs instruments ou dans les lieders où la mort poursuivie par le piano va plus vite que l’amour qu’exprime le chanteur, la musique cherche à nous mettre mal à l’aise.

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Il est intervenu ce vendredi soir au Star Saint Exupéry en avant-première d’un film qui a déjà été présenté dans le cadre du festival transfrontalier « Augenblick » et a également reçu le Prix du public du Festival de Paris. Il parle volontiers de son admiration pour ces acteurs allemands à qui il a demandé de se déplacer avec lenteur pour retrouver le parcours du son qui atteint les auditeurs afin de les charmer ou les inquiéter, avant d’être renvoyé vers les musiciens par un souffle croisé. Il dit aimer les films où l’action se passe à mi-chemin de l’écran et de la salle, quand les spectateurs se battent avec les pistes qui leur sont données et tentent de résoudre une énigme qui n’est peut-être que la projection de leurs propre incertitude.

De quoi s’agit-il ?

D’un prologue. Un pacte imbécile qui se conclut au bord de l’eau entre deux adolescents qui s’échangent la fille qu’ils disent aimer. Trio pour piano, violon et violoncelle. D’un prologue fondé sur une dénonciation initiale qui brise à cause d'un pari imbécile un troisième couple et interrompt la vie d’un enfant encore à naître. Trio punk pour une musique interdite en RDA.

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Puis d’une orchestration pour un orchestre de chambre destinée à accompagner la montée en puissance d’une menace et à entourer un meurtre rituel, où la part du diable est exigée de manière bien plus perverse qu’un simple rappel de la promesse liée à un pacte.

Denis Dercourt évoque toutes les représentations de Faust dans la littérature, la peinture et la musique, un peu pour brouiller les pistes car le pacte qu’il met en scène est bien plus complexe qu’une simple manipulation du temps qui passe Mais il revient par contre volontiers sur l’idée que les récits germaniques sont très largement fondés sur la mobilisation de la peur, sur le sentiment rémanent de culpabilité, sur l’importance du destin et sur la place irrémédiable que joue le diable pour manipuler le destin, faire monter le sentiment de culpabilité et construire les environnements de la peur.

Et que ce soit la construction musicale du récit, la mise en œuvre de tensions dramatiques maîtrisées, confrontant en permanence l’irrésolu à l’étrange et l’inquiétude au jeu de la séduction, ou encore la manière dont les conflits latents sont portés lentement mais sûrement à leur résolution finale, la dramaturgie choisie est d'une efficacité diabolique.

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Malgré toutes les propositions qui nous permettent aujourd’hui de vivre l’imaginaire, comme s’il s’agissait d’un réel dont on peut sortir quand on le souhaite, comme on sort d’un rêve, en débranchant simplement le câble d’une console. Malgré la prise de pouvoir du numérique, l’écran du cinéma – je veux dire l’écran d’une salle emplie de spectateurs serrés les uns contre les autres et embarqués ensemble dans une même aventure - reste encore, quand le cinéaste atteint son but, la dernière occurrence d’un espace dramatique mobile où la projection est double et réciproque et ne laisse à aucune des deux parties en présence de possibilité de débrancher.

Le récit initiatique et mythique peut atteindre son but dans les pages d’un livre. Il peut trouver son chemin dans l’incarnation théâtrale et la présence physique corporelle et matérielle des acteurs. Mais l’image mobile projetée dans une salle de spectacle tient encore du miracle et conserve un pouvoir imaginaire unique : mettre en œuvre des présences incertaines, des réalités indécises, des mobilités troublantes et faire la place au passage du temps, ainsi qu’aux appropriations intermittentes.

La réussite de Denis Dercourt, qui a tourné un film modeste dans des décors restreints mais avec des acteurs habités, est d’avoir compris le pouvoir constant d’indécision de l’écran. Dans ce lieu transitionnel où s’agitent des fantômes, il est normal que le diable nous propose en permanence des paris et nous fasse miroiter toutes nos vies possibles.

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Méphistophélès : « Ton esprit est-il si borné qu’un mot nouveau te trouble ? Veux-tu n’entendre rien toujours que ce que lu as entendu ? Tu es maintenant assez accoutumé aux prodiges pour ne point t’étonner de ce que je puis dire au-delà de ta portée. »

Faust : « Je ne cherche point à m’aider de l’indifférence ; la meilleure partie de l’homme est ce qui tressaille et vibre en lui. Si cher que le monde lui vende le droit de sentir, il a besoin de s’émouvoir et de sentir profondément l’immensité. »


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