Magazine Culture

[note de lecture] Charles Dobzynski, "Ma mère, etc., roman", par Zéno Bianu

Par Florence Trocmé

Dobzynski, ma mère, roman Depuis quelques années déjà, Charles Dobzynski semble avoir mis au jour un exceptionnel gisement poétique : Je est un juif, roman (Orizons, 2011), La mort, à vif (L’Armourier, 2011), Journal de la lumière et journal de l’ombre (Le Castor Astral, 2013) et enfin Ma mère, etc., roman (Orizons, 2013). Autant de livres où il manifeste une créativité opiniâtre, persévérante et entend faire vibrer toute la palette humaine (cosmique/comique, sombre/lumineuse, etc.) en une sorte d’effervescence continue.  
Dans Ma mère, etc., roman, Dobzynski remonte inlassablement le cours de l’histoire et celui de sa propre mémoire jusqu’à ce point culminant du temps où tout fait sens et signe, où tout éclaire et s’éclaire. C’est une lecture des plus précieuses qu’il nous offre là. Un plaisir de vivant qui lit un autre vivant, qui écoute l’expérience, l’amplitude de ce vivant lui dire quelque chose, on ne sait, mais quelque chose qui a à voir avec notre fonds commun, peut-être une célébration tenace de l’existence…  
L’usage du décasyllabe rimé (le fameux vers « héroïque » cher à Du Bellay et à Ronsard) donne une dimension de chanson de geste à cette remontée autobiographique jusqu’à la transformer en véritable épopée du quotidien. Comme une prose au rythme lancinant de poème. Et tu as pris les astres du hasard / pour les signaux des destinées errantes (p. 14). Et chaque chose était gravée en braille / que le soleil un jour déchiffrerait (p. 15). De ce questionnement qui nous fonde et nous habite, la poésie demeure pour Dobzynski le sésame absolu : clé de sol, clé des songes et clé des champs. Ou, si l’on préfère, le chant, le rêve et la liberté. Je sens en moi la poésie entière, s’exalte-t-il somptueusement à la fin du livre (p. 182). La poésie, oui – de celle qui irrigue et restitue le réel plus que toute autre forme de discours.  
 
Ainsi, comme dans une vision panoramique, apparaissent, disparaissent et réapparaissent les visages qui tissent et entretissent le temps d’une vie : Éluard, Aragon, Elsa, Sénac, Roger Vailland, Cendrars, Cocteau, Godard (les yeux de ressac d’Anna Karina, p. 93), Sagan, Henri Pichette, Char, Chagall, Soupault, Guillevic, Tzara, Césaire, Asturias, Brodsky, Paradjanov, Nazim Hikmet, etc. Et par-dessus tout, le visage-monde de la mère, celle qui garde la vie au cœur de la survie, qui conserve le chant au cœur même du désenchantement : Si ton amour fut celui d’une femme / eut-il aussi la force de l’aimant / qui magnétise ensemble corps et âme / jusqu’à changer le sable en diamant ? (p. 21) La mère, « boussole de tendresse », douceur/douleur, immense, cosmogonique, archétypale, sans fin réécrite et revécue. 
 
La langue que je parle n’est pas morte / sa source est l’alphabet de l’univers
(p. 183). Les deux derniers vers du livre, en leur surcroît d’enthousiasme, resituent l’ensemble dans sa perspective profonde et nous rappellent à la poésie comme urgence majeure. En art comme dans la vie, semble nous dire Dobzynski, nul ne saurait se déprendre du chant. 
 
[Zéno Bianu] 
 
Charles Dobzynski, Ma mère, etc., roman, Éditions Orizons, 2013. 
 
 


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Florence Trocmé 18683 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines