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[anthologie permanente] Raphaële George

Par Florence Trocmé

Poezibao, en collaboration avec Jean-Louis Giovannoni, publie aujourd’hui un important dossier consacré à Raphaële George. 
On y trouvera une biographie détaillée, une bibliographie, une carte blanche à Jean-Louis Giovannoni, avec notamment la préface d’un livre à paraître en avril aux éditions Lettres Vives et plusieurs textes de ce livre, ces extraits pour « l’anthologie permanente » du site (dont des inédits) et la compilation des notes rédigées dans le site Le Flotoir (site personnel de Florence Trocmé) au cours de la lecture de trois livres de Raphaële George.  
 
 
in L’absence réelle 
 
[...] Donnez-moi du temps pour vous aider à quitter mon ombre dont je ressens qu’elle risque de vous être néfaste. Sachez vous ressouvenir de ce qui arrive à celui qui veut rejoindre son ombre et faire corps avec elle. Voulant être ce corps plein, il meurt.  
 
Heureusement l’ombre insuffle son pouvoir à l’esprit. Alors, vous écrirez un mot qui montera vraiment de vous lorsque vous ne saurez pas que vous m’échapperez ; un seul mot suffira, une fois tracé, à vous guérir. Ne sommes-nous pas, tout, près du vide ?  
 
L’Absence réelle, en collaboration avec Jean-Louis Giovannoni, Éditions Unes, (tirage de tête : un portrait original de Joë Bousquet peint par Ghislaine Amon), 1986, p. 36 
 
○ 
 
in Les nuits échangées 
 
Ce que les noms des autres 
offrent de visages, 
même disparus 
il faut les porter loin 
par les yeux 
et ne plus rien regarder 
que nous ne soyons peuplés 
du secret qui nous y attache.  
 
Et puis ce vent qui nous ignore 
qui souffle et nous rappelle 
que le silence de l’homme n’existe pas pour l’homme, 
le silence de l’homme n’est que son silence d’homme 
peuplé par ce trop d’humain 
où macère la peur de n’être plus. 
 
 
in Éloge de la fatigue 
 
Quand la fatigue a pris possession de tout l’Être 
Que nous la retenons comme une dernière lueur ouverte sur le dehors 
l’état de transparence nous saisit. 
L’espace qui nous sépare d’avec les objets rétrécit. 
Nous passons autant en eux qu’ils ne passent en nous 
et voici que notre corps devient l’enveloppe du monde. 
 
A la limite de nos forces, nous baignons dans le réel comme dans un second état 
et, progressivement la valeur de nos actes, de nos pensées mute.  
 
 
Les Nuits échangées suivi de l’Éloge de la Fatigue, préfacé par Pierre Bettencourt, collection Terre de poésie, Éditions Lettres Vives, avec pour tirage de tête : une photo de l’auteur par Morhor, avril 1985, (3 éditions successives), pp. 14 et 59 
 
○ 
 
in Psaume de silence 
 
Il se passe souvent avec les mots quelque chose d’assez semblable à cette sensation d’être surpeuplée, comme si tous les mots s’étaient si bien accordés de cette mémoire. On se dit qu’on ne peut pas y toucher. On croit par eux toucher aux visages des morts.  
 
Et puis soudain,  
sentir que le monde est peuplé de mots en soi,  
sentir ce souffle d’élévation vous grandir, 
sentir que vos rêves de grandeur ont raison d’être,  
que rien ne peut empêcher la parole ; qu’avant elle, 
il n’y avait pas de parole ; qu’avec soi ce sera toujours la première parole, parce que c’est la nuit, parce qu’on est cette petite lueur qui brille, parce qu’on croit, et que, sur cette seule foi, tout est sauvé 
 
 
in Journal 

Mais quel est ce visage qui s’éveille, souvent malheureux, lourd, plus déterminé encore, conscient pourtant du retard qu’il a pris sur moi-même ? 
Je ne prends pas la peine de le regarder, je sens qu’il a pris possession de mon être comme un étau, et si je ne fais rien du regard qui m’atteint soudain, j’ai cette étrange impression de comprendre ce que peut être mourir. Il y a en moi ce peuple de mots, ou ce peuple d’êtres ; d’autres qui se promènent, qui errent tout au fond. Et c’est pour savoir ce qu’ils veulent me dire que j’accepte de fermer les yeux. J’ai la ferme conviction de trouver ainsi une mémoire, la vraie mémoire, celle peut-être qui donne au sens tout son poids de vérité, toute son assurance.  
 
Psaumes de silence, suivi de Journal, collection Terre de poésie, Éditions Lettres Vives, 1986, pp. 28 et 57 
 
○ 
 
Inédits 
 
Journal sans date  
 
La certitude que j’ai maintenant, née par ce livre et qui remonte en lui, est que pour reconnaître il me faut les mots d’un autre. Des mots qui nous auraient été donnés comme une mère donne le sein. C’est comme si j’avais créé quelqu’un qui tienne à moi, pour m’empêcher de mourir. C’est comme si quelqu’un me percevait de loin, dans un pays que je ne connais pas, prise par ce mouvement qui au présent m’attire vers la chute, le déséquilibre, et qui veuille m’enseigner l’amitié… Ce quelqu’un veille constamment au-dessus de mon épaule, sait que je ne dois pas rester seule. Ce quelqu’un veut que je comprenne, lorsque je n’aurai plus besoin des autres mais seulement que de ma vie, qu’il n’y a rien eu d’autre à peupler que la foi qui nous anime et nous refusons en vain. 
 
Ce quelqu’un dit aussi : Ne me néglige pas non plus ta beauté et fais face à ta personne. Découvre-toi le visage auquel tu tiens le plus ; sous lui règnent des multitudes d’autres visages qui t’appartiennent tout aussi justement, mais ceux-là fondent ton secret. Ils sont ton histoire et tu ne peux vivre au présent en les maintenant tout-puissants dans tes yeux : tu ne serais alors que remords, et la violence te déborderait sans que tu en saisisses la raison. D’eux, tu seras fatalement dépeuplée. 
 
Ainsi, ce quelqu’un erre dans le lointain étranger, me faisant signe par instants. Cette distance le rend, la rend, les rend proches encore. Nous sommes unis au silence où toute ombre ne peut que nous vouloir le bien. J’ai hâte d’être ombre, moi-même, enfin dégagée de tout ce qui faisait le corps lourd, et, maintenant, la raison dans la peine. 


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