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[note de lecture] Marie-Claire Bancquart, "Mots de Passe", par Jacques Morin

Par Florence Trocmé

Bancquart, mots de passe Les mots de passe sont innombrables. Marie-Claire Bancquart les utilise comme monnaie d’échange universelle aussi bien pour la poésie, le temps et la vie. Son écriture bascule de vers en prose et de prose en vers, avec tant de facilité qu’on ne ressent qu’à peine ces changements de paliers. La narration, l’histoire s’incarnent peut-être mieux ici que là. L’auteure offre une poésie sans cesse simultanée, ou diachronique, où toutes les périodes se cumulent et s’emboutissent. Ainsi dès la première page, elle interroge les gargouilles qui, au sommet des cathédrales, symbolisent la monstruosité et l’obscurité des langages : ils ont inspiré sourdement les sculpteurs. Le Moyen-Age évoqué, elle fait part du pressentiment d’une préhistoire qui reprend le temps immémorial d’avant l’homme et la langue, c’est dire que les mots de passe embrassent aussi toute la genèse de l’univers. Jusqu’au présent de l’écriture et la douleur prégnante des maladies : L’éphémère nous travaille. Ton corps en pièces. La mise en perspective est vertigineuse.  
 
Il y a ce flux temporel, et les paysages fondateurs, équilibrants. Arbres et bêtes qu’on ne sait nommer mais qui structurent l’évidence :  
 
nous vivions comme en filigrane  
dans leur ensemble énigmatique  
 
Et la conscience de se juger, à une échelle infinitésimale mais réelle, alternativement comme salvateur ou prédateur du monde :  
 
comment t’accepter  
toi glorieux  
toi massacreur ?
 
 
La maladie, terrée dans les viscères et leur nuit inaccessible, donnerait des velléités d’introspection de sa propre chair  
 
ainsi notre rate  
qui a taille d’un poing.
 
 
Tentative de connaissance intime de sa viande pour accepter ou comprendre.  
 
Marie-Claire Bancquart catalyse par toute son écriture le plus simple atome, la moindre cellule, jusqu’au rien tout sec, la terre entière autour d’elle. Il y a de la ferveur et de l’enthousiasme dans cette quête inextinguible, voire de l’orgueil confesse-t-elle. Elle parle de « magie du vivant », tant cette appréhension reste mystérieuse et sidérante.  
 
Le titre d’une des six parties de son recueil : Nous espérons, nous implorons est une reprise inversée du vers : Nous explorons. Nous espérons… où l’on devine un des rares moments de découragement ou de résignation dans cette écriture combative et passionnée.  
 
Brièvement  
nous aurons parcouru la vie
 
 
Mais ce constat n’implique nul regret lorsqu’on sait aimanter les belles choses et agglomérer les lumières de l’aube, les regards des gens et les nuances de l’invisible. 
  
Un arbre en travers de mon corps  
me maintient droite… 
 
Ce livre de Marie-Claire Bancquart s’ouvre bien comme un vade-mecum du poète pour franchir seuils diaphanes et frontières intangibles. 
 
 
[Jacques Morin]
 
 
Marie-Claire Bancquart, Mots de Passe, Le Castor Astral


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