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Eglise catholique, droit du travail et droits de l'homme: l'arrêt Fernandez Martinez de la Cour européenne des Droits de l'Homme

Publié le 16 juin 2014 par Elisa Viganotti @Elisa_Viganotti

Dans son arrêt de grande chambre, définitif, rendu vendredi dernier 12 juin 2014 dans l’affaire Fernández Martínez c.Espagne (requête no 56030/07), la Cour européenne des droits de l’homme a dit, par neuf voix contre huit, qu’il y a eu :

Non-violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention européenne des droits de l’homme.

L’affaire concerne le non-renouvellement du contrat de travail d’un professeur de religion et de morale catholiques, prêtre marié et père de famille, à l’issue de l’obtention de sa dispense de célibat et après avoir manifesté publiquement son engagement militant auprès d’un mouvement opposé à la doctrine de l’Église.La Cour rappelle qu’on ne saurait déduire de l’article 8 de la Convention EDH un droit à l’emploi ou au renouvellement d’un contrat de travail à durée déterminée.
Cependant, il n’y a aucune raison de considérer que la « vie privée » exclut les activités professionnelles. La vie professionnelle est souvent étroitement mêlée à la vie privée.
En l’espèce, l’interaction entre vie privée et vie professionnelle était d’autant plus réelle que l’emploi en question exigeait une adéquation entre le comportement dans le cadre de la vie privée et l’activité professionnelle.
La Cour juge par conséquent l’article 8 applicable car le non-renouvellement du contrat de travail de M. Fernández Martínez en raison d’événements liés à ses choix personnels dans le cadre de sa vie privée a gravement compromis ses possibilités d’exercer son activité professionnelle.
La Cour note que le ministère de l’Éducation a agi en vertu des dispositions de l’Accord de 1979 établi entre l’Espagne et le Saint-Siège, complété par l’arrêté du 11 octobre 1982, traité international, incorporé à ce titre dans le droit espagnol conformément à la Constitution espagnole.
Le non-renouvellement du contrat de travail de M. Fernández Martínez repose donc sur le droit espagnol en vigueur.
La Cour observe que l’évêché s’est fondé sur la notion de « scandale » pour justifier sa décision. Bien que cette notion ne soit pas expressément prévue dans les parties du droit canonique relatives aux professeurs de religion, on peut considérer qu’elle vise les notions de « rectitude de la doctrine », de « témoignage d’une vie chrétienne » ou de « raisons de religion ou de mœurs ». Ces dispositions exprimaient des exigences propres emportant des effets qui étaient prévisibles.
Ancien directeur de séminaire, M. Fernández Martínez aurait pu prévoir que la manifestation publique de sa position militante d’opposant à certains préceptes de l’Église irait à l’encontre des dispositions canoniques applicables et ne resterait pas sans conséquences.
Compte tenu de la clarté des termes de l’Accord de 1979 établi entre l’Espagne et le Saint-Siège, M. Fernández Martínez aurait pu raisonnablement prévoir qu’en l’absence de certificat d’aptitude émis par l’Église son contrat ne serait pas renouvelé.
La Cour estime que l’ingérence litigieuse était donc prévue par la loi.
A l’instar des parties, la Cour considère que la décision de non-renouvellement poursuivait le but légitime de la protection des droits et libertés de l’Église catholique, et en particulier de son autonomie quant au choix des personnes habilitées à enseigner la doctrine religieuse.
En ce qui concerne l’autonomie des organisations religieuses, la Cour note que les communautés religieuses existent traditionnellement sous forme de structures organisées. Le droit des fidèles à la liberté de religion suppose que la communauté puisse fonctionner paisiblement sans ingérence arbitraire de l’État. L’autonomie des communautés religieuses se trouve au cœur même de la protection offerte par l’article 9 de la Convention qui présente un intérêt direct pour l’organisation de ces communautés mais aussi pour la jouissance effective du droit à la liberté de religion des individus. Si l’organisation de la vie de la communauté n’était pas protégée par l’article 9 de la Convention, tous les autres aspects du droit à la liberté de religion pour l’individu s’en trouveraient fragilisés.
Cependant, l’article 9 ne garantit aucun droit à la dissidence à l’intérieur d’un organisme religieux. En cas de désaccord entre une communauté religieuse et l’un de ses membres, la liberté de religion de l’individu s’exerce par sa faculté de quitter librement la communauté.
Le respect de l’autonomie des communautés religieuses reconnues par l’État implique l’acceptation par celui-ci du droit pour ces communautés de réagir conformément à leurs propres règles et intérêts aux éventuels mouvements de dissidence qui pourraient présenter un danger pour leur cohésion, pour leur image ou pour leur unité.
Il n’appartient pas aux autorités nationales de s’ériger en arbitre entre les organisations religieuses et les entités dissidentes qui existent ou pourraient se créer dans leur sphère.
La Cour rappelle que, sauf exception, le droit à la liberté de religion exclut toute appréciation de la part de l’État sur la légitimité des croyances religieuses ou sur leurs modalités d’expression. De surcroit, le principe d’autonomie religieuse interdit à l’État d’obliger une communauté religieuse à admettre ou exclure un individu ou à lui confier une responsabilité religieuse quelconque.
Du fait de leur autonomie, les communautés religieuses peuvent exiger un certain degré de loyauté de la part des personnes qui travaillent pour elles ou qui les représentent.
M. Fernández Martínez a accepté en connaissance de cause et volontairement un devoir de loyauté particulier envers l’Église catholique, ce qui a limité dans une certaine mesure l’étendue de son droit au respect de sa vie privée et familiale.
Pareilles limitations contractuelles sont acceptables au regard de la Convention lorsqu’elles sont librement consenties.
En acceptant de rendre publiques sa situation familiale et sa participation à un rassemblement protestataire contre la doctrine de l’Eglise (notamment concernant l’avortement, le divorce et la contraception..) M. Fernández Martínez a rompu le lien de confiance qui était nécessaire à l’accomplissement des tâches dont il était professionnellement chargé.
La Cour observe que M. Fernández Martínez faisait volontairement partie du cercle de personnes soumises à un devoir de loyauté accru vis-à-vis de l’Église catholique.
Or, être perçu comme militant dans des mouvements qui s’opposent à la doctrine catholique va de toute évidence à l’encontre de cette obligation. Il ne peut faire de doute par ailleurs que M. Fernández Martínez, en tant que prêtre et directeur de séminaire était ou devait être conscient du contenu et de l’importance de cette obligation.
M. Fernández Martínez a pu contester le non-renouvellement de son contrat devant le juge du travail puis devant le Tribunal supérieur de justice de Murcie qui ont examiné la licéité de la mesure litigieuse à la lumière du droit du travail, en tenant compte du droit ecclésiastique.
Ces juridictions ont mis en balance les intérêts du requérant et de l’Église catholique. Dans la mesure où la motivation du non-renouvellement était strictement religieuse, les juridictions internes ont estimé qu’elles devaient se limiter à vérifier le respect des droits fondamentaux en jeu.
La Cour estime que les juridictions ont pris en compte tous les éléments pertinents et ont procédé à une mise en balance circonstanciée et approfondie des intérêts en jeu dans les limites que leur imposait le respect dû à l’autonomie de l’Église catholique.
A la lumière du contrôle exercé par les juridictions nationales, il ne semble pas que l’autonomie de l’Église ait été invoquée abusivement, c’est-à-dire que la décision de l’évêché ait été insuffisamment motivée, arbitraire ou prise dans un but étranger à l’exercice de l’autonomie de l’Église catholique.
Eu égard à la marge d’appréciation de l’État, la Cour estime que l’atteinte au droit du requérant au respect de sa vie privée n’était pas disproportionnée.La Cour a conclu par neuf voix contre huit à la non-violation de l’article 8.+Elisa Viganotti Avocat de la famille internationale Pour approfondir: L'arrêt Fernandez Martinezde la Grande Chambre de la CEDH

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