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Brèves réflexions juridiques sur la loi pour la transition énergétique

Publié le 20 juin 2014 par Arnaudgossement

loi.jpgSégolène Royal, ministre de l'écologie, a présenté hier le projet de loi pour la transition énergétique. Entraînant des réactions passionnées, un débat particulièrement vif entre opinions très tranchées. Une controverse qui en dit long sur notre rapport au droit (photo : statue de la Loi).


Le Grenelle de l'environnement de 2007 avait constitué une tentative heureuse de nouer un dialogue apaisé entre des acteurs acceptant de respecter leurs différences de point de vue sur un même sujet, la protection de l'environnement. Depuis lors, la recherche du compromis semble s'être essoufflée, le goût pour l'affrontement est revenu.

Les réactions qui ont accompagné la présentation par Ségolène Royal du projet de loi pour la transition énergétique démontrent que six mois de "débat national sur la transition énergétique" n'auront pas suffi à faire de cet enjeu - moderniser notre modèle énergétique des années 60 - un sujet moins passionnel. Toute la journée, des esprits se sont échauffés. Alors que tel syndicat défendant le nucléaire prédit une "casse industrielle", telle association, dénonçant le nucléaire, s'émeut en termes douteux de ce que la ministre ait pu être agressée par le "lobby" du nucléaire.

Cette polémique très vive intéressera sans doute les sociologues du droit. Elle révèle certaines des caractéristiques de notre conception collective de la Loi.

1. Un avant projet de loi est déjà la loi. Peu importe que le texte présenté par Ségolène Royal n'ait pas encore été examiné ni par le Conseil économique, social et environnemental, ni par le Conseil national de la transition énergétique, ni par le Conseil d'Etat, ni par l'Assemblée nationale, ni par le Sénat, ni par le Conseil constitutionnel. Pour les opposants au texte, l'avant projet de loi, c'est déjà la loi : les travaux et débats parlementaires qui vont commencer ne peuvent rien changer. Cette défiance envers la délibération démocratique et la capacité du Parlement a enrichir une loi est sans doute à son plus haut niveau.

2. La Loi est l'expression d'un rapport de forces. Pas un communiqué de presse sans référence aux "lobbys". Les personnes que je connais qui travaillent dans des agences de relations publiques - les fameux "lobbys" - sont souvent amusées du pouvoir presque magique qu'on leur prête. Leur quotidien est plus généralement consacré à supplier un collaborateur parlementaire de recevoir leurs clients qu'à torturer tel élu pour qu'il vote tel texte dans tel sens. De manière générale, la théorie du complot se porte bien. Dans les faits, les gouvernements qui se succèdent depuis le début de la Vème république n'ont pas besoin de "lobbys" pour défendre le consensus "gaullo-communiste" sur le nucléaire, lequel va de la droite à la gauche. Ni le Président de la République ni le Premier ministre actuels ne sont hostiles à l'atome et il n'est pas besoin de les convaincre sur ce point. Cette conception de la loi est préjudiciable au débat, à la "conflictualité positive", à la recherche de compromis. Chaque acteur juge la loi à l'aune de ses propres analyses et non au regard des consensus possibles. Chaque acteur étant déçu par le fait que toutes ses idées et revendications ne soient pas écrites en articles : la Loi sera combattue sitôt votée et sa durée de vie ne cesse de se réduire.

3. La Loi est une baguette magique. La vigueur des réactions relatives au projet de loi présenté par Ségolène Royal démontre également que nous attendons beaucoup de la Loi et sans doute beaucoup trop. L'adage "un problème, une Loi" a encore de beaux jours devant lui. Malgré le nombre élevé de lois tombées dans les oubliettes et qui ne seront jamais appliquées, la Loi apparaît toujours comme une texte un peu religieux qui doit permettre à elle seule de régler les problèmes de notre temps. Certes, l'Etat a sans doute eu tort de présenter la loi pour la transition énergétique comme "l'une des plus importantes du quinquennat" : la déception pouvait être à la hauteur de l'espoir suscité. Or, outre le fait que la loi votée par notre parlement national n'est que l'une des règles de droit qui intéressent la transition énergétique, le droit ne sera pas le seul levier de cette dernière. La conjoncture économique, la baisse du pouvoir d'achat, la raréfaction des ressources d'énergies fossiles...autant de facteurs qui accélèreront ou non la transition énergétique. Peu importe, la Loi sur la transition énergétique est investie de bien des espoirs.

4. La Loi est bonne ou mauvaise. Certes, la communication exige bien souvent qu'un message soit "tout noir" ou "tout blanc" pour être diffusé. La nuance, la prise en compte de la complexité ne sont pas exercices faciles ni même souvent exécutés. La loi sur la transition énergétique est donc, soit une "casse industrielle", soit une victoire du PDF d'EDF. Difficile de faire valoir une position plus modérée entre ces deux extrémités du spectre. La loi sur la transition énergétique est donc un "tournant majeur" ou "un enterrement de première classe" de tout progrès. Se risquer à une analyse plus fine, mettre en exergue que certaines dispositions pourraient être perfectionnées, que d'autres sont intéressantes, que d'autres encore ne le sont pas, c'est prendre le risque d'être inaudible. Mieux vaut avoir un avis tranché pour créer le "buzz".

5. La Loi doit tout dire, tout prévoir. Une fois de plus, relisons Jean-Etienne Portalis et son si précieux Discours préliminaire sur le projet de code civil, qui fait la part belle à la nuance :

"A l’ouverture de nos conférences. nous avons été frappés de l’opinion, si généralement répandue, que, dans la rédaction d’un code civil, quelques textes bien précis sur chaque matière peuvent suffire, et que le grand art est de tout simplifier en prévoyant tout.

Tout simplifier est une opération sur laquelle on a besoin de s’entendre. Tout prévoir est un but qu’il est impossible d’atteindre.

Il ne faut point de lois inutiles ; elles affaibliraient les lois nécessaires ; elles compro­mettraient- la certitude et la majesté de la législation. Mais un grand État comme la France, qui est à la fois agricole et commerçant, qui renferme tant de professions différentes, et qui offre tant de genres divers d’industrie, ne saurait comporter des lois aussi simples que celles d’une société pauvre ou plus réduite."

"Tout prévoir est un but qu'il est impossible d'atteindre". Pourtant, il est exigé de la Loi qu'elle prévoit tout et donne à tout le monde. Les auteurs de texte ont à cœur de tenter d'anticiper toutes les situations particulières et toutes les revendications, même celles qui ne sont pas encore nées. En définitive, la Loi est victime d'injonctions contradictoires : elle doit reprendre toutes les recommandations, même opposées, de tous les groupes d'intérêts et, dans le même temps, être simple, ne pas ensevelir les acteurs économiques ou les citoyens : La Loi doit être longue et courte.

7. La Loi vaut mieux que le Contrat. Nous restons très attachées à l'acte unilatéral, la consigne, l'instruction, l'obligation de faire, l'ordre. Lors du Grenelle j'étais déjà frappé par la demande très forte de mesures de police : une obligation et une sanction. Que la Loi fasse appel à la confiance entre acteurs, encourage des démarches volontaires, recommande le contrat : elle est molle et peu digne d'intérêt. Que la loi impose, ordonne, contraigne : elle est une "bonne loi". La convention, la négociation, l'entente, le dialogue valent moins que le décret ou l'arrêté.

Les juristes en droit de l'environnement, notamment, ne peuvent se dispenser de cette réflexion sur notre rapport au Droit pour contribuer au progrès de ce droit. 

Arnaud Gossement

Selarl Gossement avocats 


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