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La gloire des compagnons se chante et se dessine

Par Jean-Michel Mathonière

Le Musée du compagnonnage de Romanèche Thorins présente dans la salle du rez-de-chaussée un tableau d’une vue imaginaire composée de plusieurs éléments dont un défilé de compagnons au premier plan. Il s’agit vraisemblablement d’une représentation classique d’une conduite fondée sur l’imagerie répandue au XIXe siècle.

La gloire des compagnons se chante et se dessine
© Photographie Julie Hyvert 2014, D.R.

Ce qui frappe tout d’abord, c’est qu’en France, aucun pont en pierres aussi grand et prestigieux ne sert qu’à la promenade. L’escalier type moulin rouge (valable pour une passerelle style pont des Arts mais qui ne fonctionne pas ici) sert la gloire et la splendeur des compagnons car dans la réalité on ne trouve pas d’escalier sur un pont colossal comme celui-ci (qui serait plutôt du type des lourds ponts qui permettent de franchir la Loire et non pas à une promenade). Notons tout de même que les arches sont peu étroites ce qui exclut le Pont du Change ou le Pont de Nemours pourtant familiers. Le château à l’arrière-plan fait penser à la basilique de Fourvière à Lyon et l’église ressemble à Saint Georges sur la rive droite de la Saône, toujours à Lyon. Ce serait donc la Saône qui traverse ce tableau de gauche à droite. Pourtant il n’y a pas de trois mats sur cette rivière bien que les représentations imaginaires qui mettent en scène des compagnons sont coutumières du fait, surtout là où il n’y en a pas ! Enfin, les maisons à droite peuvent faire penser à Strasbourg.

La personne (anonyme) qui a peint cette toile a-t-elle fait des repérages ? Peut-être s’agit-il d’un paysage fait de mémoire par l’un des ouvriers de la basilique de Fourvière qui respecte les codes du genre de la représentation des conduites de compagnons au XIXe siècle dans une dimension spéculaire.

La pratique des conduites occupait une place au regard d’un dispositif qui les encadraient et engageait le collectif mais aussi le contexte (et l’assistance) selon des exigences normalisées représentées ici. Cette toile fait peu appel à l’extraordinaire mais à la mobilisation ordinaire de tous les présents car même le spectateur est engagé dans le spectacle et tient une place au regard de la présentation du dispositif. L’attention est focalisée sur le défilé de compagnon et encadrée par une esthétisation, une domestication et une socialisation d’où émerge finalement un spectacle de l’ordinaire. Le fonctionnement effectif et la pratique routinière permettent de suggérer le compagnonnage en acte.

En effet, le compagnon se distingue par sa capacité professionnelle mais celle-ci est invisible dans un premier temps. L’image que les compagnons donnent à travers leur langage ou leurs vêtements (en se présentant visuellement comme des aristocrates ou des bourgeois) correspond à une représentation dont ils se sont emparés. L’usage des bonnes manières dans les déplacements, le port de chapeaux, de cannes et de rubans sont des codes de savoir-être empruntés à la bourgeoisie. Au XVIIIe siècle déjà, le C. Ménétra, loue des habits d’aristocrates le dimanche : « tous les compagnons revêtent un habits gris, des gants et des bas blancs, frisent leurs cheveux et les attachent d’un ruban blanc. Ils paradent dans les rues» (Robert Darnton, Journal de ma vie, Paris, Bibliothèque Albin Michel Histoire, 1998, préface, p. XI).

Le monde des compagnons existe dans un imaginaire social sur lequel pèse le poids des représentations ; celles d’un peuple magnifié qui cherche à se distinguer à travers la croyance à une élévation dans le cadre du travail et par le travail. C’est ce qui fait la gloire des compagnons.

Une dernière question : qu’est-ce qu’il y a dans la petite église gauche ? Un tableau énigmatique ou un ex-voto quelconque…

La gloire des compagnons se chante et se dessine

L'homme pense parce qu'il a une main. Anaxagore (500-428 av. J.-C.)


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