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(anthologie permanente) Michaël Batalla

Par Florence Trocmé

Michaël Batalla publie Poésie possible, aux éditions Nous.
Plein Centre
(observations participantes)
1. Aspects du dispositif actuel des gens qui passent
Des petits groupes de trois bien disposés
jeunes policiers au nombre de trois par groupe
trois petits groupes de trois
Moi je marche
je descends dans la station pour prendre le métro
Je ne vois pas leurs visages
ils sont curieusement animés d'un léger balancement
ils ont une manière spéciale de tenir sur le sol
ils ont la même taille
ils sont donc neuf en tout ici dans cette station divisés en trois groupes de trois bien répartis à bonne distance pas n'importe où pas n'importe comment.
A bien y regarder ils forment une sorte de pince
le groupe central en est logiquement le pivot
les deux groupes extrêmes en sont les mâchoires
En découvrant la pince à mon arrivée dans la station je sens l'imminence perpétuelle de son possible resserrement
J'assiste à l'orchestration de cette menace
Il paraît clair qu'en cas de resserrement on n'échapperait pas à la pince
clair qu'elle peut effectivement se resserrer jusqu'à prendre jusqu'à tenir et ne pas relâcher
Il y a un dispositif
à n'en pas douter il est agissant
il opère en ce moment
il fonctionne
Tout le monde passe devant
tout le monde passe dedans
Les jeunes flics nous montrent quelque chose
le dispositif qu'ils ont mis en place semble répondre à une esthétique
ils se livrent publiquement à l'exécution d'une sorte de performance
Près de la station
dans la rue où j'étais encore à l'extérieur juste avant de descendre
étaient lisibles les contreforts de ce dispositif
les signes annonciateurs de cette installation
Jeunes flics par deux arpentent lentement côte à côte
ils ont de la nonchalance
ils parlent entre eux
ils font comme s'ils étaient des gens
Et au centre de cette espèce de ronde
leurs véhicules nombreux garés de manière à rendre ostentatoire leur débord sur la chaussée étroite de la rue du Chevaleret
comme pour dire l'urgence du stationnement
pour dire à quel point la situation nécessite qu'on empiète sur la voie publique
pour dire que c'est l'affaire de tous
que chacun doit contribuer en cédant un peu de sa liberté de passer
en donnant un peu de son temps pour faciliter le fonctionnement du dispositif
Ils sont donc neuf disposés à l'intérieur de la station
presqu'au seuil des oblitérateurs
Je crois d'abord à quelque arrestation de gros calibre
c'est la persistance de ma naïveté naturelle
c'est ma confiance
Mais non
il ne s'agit pas de ça
les jeunes flics interpellent les gens qui passent
ils semblent former un dispositif classique de contrôle de l'identité
mais ce n'est pas ça
je m'en aperçois vite
La station est bondée
il est près de midi
il y a beaucoup de monde qui voit ce que je vois
il y a beaucoup de monde qui comprend ce que je comprends
Pris par les trois postés le plus au fond de la station
se trouve un homme noir
Pris par les trois du milieu de la station
ceux du pivot de la pince
se trouve un autre homme noir
D'abord pris par les trois jeunes flics posés le plus près de l'entrée de la station
un jeune homme noir reprend son chemin
immédiatement remplacé par cet autre qui marchait juste devant moi
Tandis que je sors mon ticket de ma poche
j'assiste au fonctionnement
d'un dispositif d'interpellation des hommes noirs
Désormais
ils osent n'arrêter que les noirs
ils le font devant tout le monde
Ils le font devant nous tous
ils montrent
et dans le même temps ils exigent que nous l'acceptions
la politique à l'œuvre en France aujourd'hui
.
[...]
Michaël Batalla, Poésie possible, éditions Nous, 2015, pp. 11 à 15.

Bio-bibliographie
de Michaël Batalla


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