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(entretien) avec Sereine Berlottier, par Florence Trocmé

Par Florence Trocmé

Entretien-flash avec Sereine Berlottier    
Quelques questions à l’auteur, questions nées spontanément lors de la lecture de son livre, Louis sous la terre.  
 
 
Florence Trocmé (F.T) : Sereine Berlottier, vous avez publié tout récemment, chez Argol, Louis sous la terre, une sorte de récit rêvé, singulier et prenant autour de la figure du peintre Louis Soutter. Pourquoi Louis Soutter ?  
 
Sereine Berlottier (S.B.) : C’est une rencontre qui procède en partie du hasard : des dessins et des peintures de Louis Soutter que je découvre dans un catalogue, une longue émission qui lui est consacrée à la radio et que j’écoute captivée, et la découverte d’un destin, l’inquiétude que lève en moi cette œuvre, dans sa solitude et sa singularité, me donnent envie de découvrir plus, d’aller plus loin. Mais ce qui fait écho, résonnance en soi, ce qui accroche et justifie d’aller vers un texte, je ne peux pas en déplier ici l’inventaire, c’est la matière même du livre. Une sorte d’enquête pour soi-même, vers l’autre.  
 
 
F.T. : « un récit s’invente dans l’écoute des images », écrivez-vous ? Autrement dit trois dimensions en alliage, l’écriture, l’écoute, le regard ? Pouvez-vous en dire plus sur cette triple approche de Louis Soutter ?  
 
S.B. : Oui, ces mots sont ceux de la quatrième de couverture. D’abord pour assumer, au seuil du texte, la part d’invention, d’imaginaire, de ce « récit rêvé », comme vous le dites justement. Non pas une étude, mais une expérience de lecture, un compagnonnage, un dialogue. Avec tout ce que cela suppose de jeu, d’interprétation, de projection et de liberté. Manière de dire peut-être aussi que l’image n’est pas essentiellement première, dans cette démarche. (J’aurais presque envie de dire qu’elle est sans « autorité »). Elle aussi réclame d’être inventée par qui la regarde. Autrement dit l’écriture ne vient pas ici à mes yeux tenter de traduire quelque chose qui préexisterait et qui serait la vérité de l’image. C’est le mouvement de la rencontre, le jeu des hypothèses dans l’écoute, et tout ce qui viendra, en relation, animer une présence, qui m’intéresse. 
 
 
F.T. : La forme qui mêle des passages biographiques, quelque chose qui s’apparenterait plus à un essai, à des sortes de rêveries autour d’images, de noms, de scènes de la vie du peintre, la prose et des vers, s’est-elle imposée à vous, au fur et à mesure que vous approchiez votre sujet ? Comment s’est-elle édifiée en fin de compte ? 
 
S.B. : La forme est venue dans le mouvement même de l’écriture. Je ne m’étais pas fixé de contrainte, sauf celle de suivre, de façon très souple, un fil chronologique. Il y a bien sûr une phase de lecture, de travail documentaire. Je m’y nourris de signes, d’échos, de lignes de fuite. Et puis regarder les images. Attendre. Beaucoup. Etre attentive à ce qui, en soi, fait  « rebondissement ». Peupler l’espace intérieur des traces de ce compagnonnage, de façon buissonnière, très libre. Alors quelque chose est actif, mais dans une forme d’effacement. On peut tout oublier et se mettre au travail, en essayant d’habiter les vides, les traces absentes, les interstices. Le biographique, j’y vois le soutien d’une cordée. Un fil sur la paroi. Qui rend la traversée possible mais, d’une certaine façon, s’abolit au profit de la rêverie. Pour le reste, j’ai travaillé sans plan. Le caractère, disons « hybride », ou mêlé, de mon travail est quelque chose qui était déjà à l’œuvre, sous d’autres formes, dans mes textes précédents (Attente, partition, notamment). Les variations de tempi, le travail en vers, la diversité des angles d’approche sont peut-être un moyen de briser une linéarité dont je me méfie, ou qui, plus simplement, m’ennuie. Peut-être est-ce aussi lié à la façon dont le poème travaille en moi la prose.  
 
 
F.T. : Quels sont les thèmes que vous avez eu à cœur d’aborder ici ? Voulez-vous lutter contre le classement abusif de Louis Soutter dans le domaine de l’art brut ? Voulez-vous rendre compte d’une rencontre entre deux formes d’art, l’écriture et le dessin. Et plus précisément donc, nourrissez-vous votre travail d’écriture de cette fréquentation de la peinture, d’autres arts peut-être (photographie, musique, cinéma, etc.) 
 
S.B. : Aucun thème en particulier, non, aucun projet de cette sorte. Je ne suis pas historienne de l’art. Juste quelqu’un qui passe par là, qui regarde, qui lit, qui n’y voit rien. Et qui se demande : qu’est-ce que je verrais si j’y voyais quelque chose ? Bien sûr il y a les lectures, la documentation. Mais ces lectures me semblent plus liées, comme je le disais, à la recherche d’une présence qu’à l’établissement d’une « vérité ». Peut-être le regard est-il pour moi le lieu d’une forme de déroute (dans ce mot de déroute j’entends bien sûr aussi en miroir celui de « détour »). Je ne sais pas ce que j’ai vu regardant les dessins et les peintures de Louis Soutter. Je ne sais pas ce que j’ai ressenti. C’est de ne pas le savoir à ce point qu’est peut-être né le désir de ce livre. 
Et pour répondre à la dernière partie de votre question, sans doute la fréquentation d’autres formes d’art nourrit-elle mon travail, mais ce n’est pas systématique. C’est la vie-même, au hasard des rencontres. J’avais, par exemple, le projet d’un texte sur les photographies de Mario Giacomelli. J’ai le souvenir d’étranges journées passées en Italie, à Senigallia, dans un vieil hôtel désert, à la recherche de ce texte, mais ce projet-là n’a pas abouti, c’est une autre histoire… 
 
octobre 2015 - lire la note de lecture de Louis sous la terre par Ludovic Degroote
 
 


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