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(anthologie permanente) Fabrice Reymond

Par Florence Trocmé

« La note est la trace d’un choc. L’idée frappe l’esprit comme le caillou heurte le pare-brise et après un bref suspense, l’étoilement de la pensée commence : les connexions synaptiques partent dans tous les sens autour du point d’impact, sans censure, sans direction, réagissant au moindre mouvement : seul le livre peut arrêter ce processus pour le transmettre au lecteur. »  
 
« Nous sommes sans histoires, impossible d’en lire, impossible d’en écrire, le présent nous a envahis. » 
 
« Le temps ne passe pas, il s’accumule, il s’accumule en accélérant, il accélère parce qu’il a de moins en moins de place pour tourner, il a de moins en moins de place pour tourner à cause de la sédimentation. » 
 
« Je suis incapable d’approfondir un sujet, de développer une idée, quelque chose me retient, une réserve morale, l’intuition d’une piste à ne pas suivre. Je ne peux pas réfléchir aux idées, les expliquer, les résumer, les justifier, les exploiter, j’aurais l’impression de tricher, de les trahir, de les abimer. J’aurais l’impression de forcer le pas de vis de ma pensée. »  
 
« Laisser son sujet en liberté, accepter de le voir disparaître, savoir digresser jusqu’à ce qu’il revienne. L’art c’est patienter en attendant le retour du sujet. » 
 
« Un artiste doit accepter de ne pas toujours comprendre ce qu’il fait et un spectateur de ne pas toujours comprendre ce qu’il voit. Une œuvre a besoin du désir de lumière que crée l’obscurité. »  
 
« Je ne regarde pas le monde, c’est le monde qui me regarde. Le langage me regarde regarder le monde. Je est toujours dans le champ. Ce qui change c’est la distance depuis laquelle on le voit. La largeur du plan, du portrait au paysage, du particulier au général. Tout ce que nous pouvons faire pour voir ce qui nous entoure, c’est élargir le cadre jusqu’à nous perdre de vue, jusqu’à n’être plus discernable que comme un être quelconque, un personnage générique.  
Savoir vivre c’est apprendre à s’indistinguer. »  
 
« La photographie est évidemment incapable de restituer l’intensité et l’épaisseur de ce qu’on vit. Comme dans un jeu de piste, le cadrage est une flèche qui indique le chemin de l’impression. En sélectionnant un point de vue, l’image crée une ouverture dans le réel. Une image est comme un objet magique, un indice qui permet au réel de se retrouver en nous. » 
 
« Vivrais-je éternellement dans les marges des livres des autres ? Vais-je éternellement commenter ma traversée du temps ? que faire d’autre ? Travailler pour l’aménager ? Y habiter un moment ? » 
 
« L’eau est la représentation de la lumière, la matérialisation d son, elle mesure notre force de pénétration dans la matière. L’eau efface la frontière de notre peau. Le souvenir de l’amniotique est celui d’un temps où l’on faisait partie d’autre chose. La vie nous le fait oublier, la mer nous le rappelle, la mort nous l’explique. » 
 
« Comment savoir quand nos sens doivent se reposer ? À partir de quand en a-t-on marre de voir, d’entendre, de sentir… 
Goya, avant d’entamer la partie la plus importante de son œuvre, a perdu complètement l’usage de ses cinq sens, puis ils sont revenus petit à petit, sauf l’ouïe.  
Le génie, l’amour, la maladie, la nuit et la mer, sont des façons de redémarrer le système, une sorte de reset des sens, une façon d’apprendre à ne plus rien sentir pour pouvoir tout re-sentir. » (p.117) 
 
Fabrice Reymond, A l’opéra derrière un poteau, collection Faux raccord, Post-éditions, 2015, pp. 9, 18, 20, 22, 24, 27, 108, 126, 117. 
 
Retrouver ces notes avec quelques commentaires dans le site personnel de Florence Trocmé, le Flotoir.  
 

Après des études de théologie protestante, Fabrice Reymond conçoit des documentaires pour France Culture entre 1993 et 1998, puis s’engage dans l’aventure de l’art. Depuis 2008, il publie tous les deux ans le nouveau tome d’un projet intitulé Anabase, le livre d’une vie, construit comme un musée conservant des fragments de textes patiemment consignés. L’énoncé programmatique d’Anabase est le suivant : « Perdu sur le chemin du retour, on sème les indices qui dessinent la carte du présent. » En 2008, Fabrice Reymond codirige l’anthologie Art conceptuel, une entologie, conçue comme un manifeste littéraire qui affirme la dimension littéraire et fictionnelle des énoncés conceptuels, et qui permet au texte d’excéder les styles, les genres, les formats et d’échapper à la clôture du livre 
(Quatrième de couverture du livre)  
site de l’éditeursite personnel de Fabrice Reymond 


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