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(note de lecture) Philippe Soupault, "Le temps des assassins", par Alain Lance

Par Florence Trocmé

 
A11477En 1938, Philippe Soupault, l’un des « trois mousquetaires » (avec Breton et Aragon) fondateurs du mouvement surréaliste, est nommé par le gouvernement français pour créer et diriger à Tunis une radio, afin de « contribuer au rayonnement de la pensée française dans toute l’Afrique du Nord » et aussi pour contrer la propagande de l’Italie fasciste. Comme le rappelle Béatrice Mousli dans sa remarquable biographie de Philippe Soupault (1) l’écrivain « entend se servir de la radio comme d’un outil de connaissance, un lien entre les communautés, une radio pour tous. (…) Des bulletins d’information sont diffusés en arabe, des commentateurs de tout bord (y compris nationaliste) sont invités à s’exprimer. » Cela vaut bientôt à Soupault l’hostilité des milieux colonialistes. L’organe d’extrême-droite Gringoire conteste véhémentement cette nomination d’un homme suspecté de proximité avec les communistes, un « poète décadent, politicien sectaire et borné »… Et lorsqu’au lendemain de l’armistice de juin 40 le régime de Vichy s’installe, le politicien d’extrême-droite Tixier-Vignancour est nommé à la tête de la Radiodiffusion française, et Soupault est bientôt démis de ses fonctions. En mars 1942, il est arrêté, suspecté de comploter avec les « dissidents » (ainsi désignait-on les adversaires du régime de Pétain, gaullistes, socialistes, communistes ou même royalistes hostiles à la collaboration). Libéré six mois plus tard, peu avant l’arrivée des troupes allemandes en Tunisie, il rejoint Alger avec sa femme, Ré (2)Au début de l’été 1943, tous deux gagnent New-York, puis il sera chargé par le gouvernement provisoire de la France libre d’une mission aux États-Unis et sur tout le continent américain afin de reconstruire un réseau international sur les ruines de l’agence Havas. C’est en 1945 à New-York, aux éditions de la Maison Française, que paraît Le temps des assassins, récit de son arrestation et de sa détention à Tunis. Par la suite, Philippe Soupault s’était toujours refusé à faire rééditer ce témoignage, car « à côté des camps de concentration, des tortures, c’est pitoyable (…). Je pense à mon pauvre Desnos » (3) 
Saluons cependant la décision des ayants droit d’avoir autorisé cette republication car elle permet à de nouveaux lecteurs de découvrir ce précieux témoignage. 
Un des aspects les plus frappants de ce récit de six mois de détention est l’attention que manifeste le poète pour ses compagnons, qu’ils soient des droits communs ou des résistants. Soupault brosse le portrait de plusieurs d’entre eux, relate les circonstances qui les ont amenés en prison. On constate également que ces hommes lui manifestent leur confiance. Certes, ce prisonnier qui passe une bonne partie de ses journées à lire des dizaines de livres les étonne, ils le considèrent comme un type un peu bizarre, ils l’acceptent cependant comme un de leurs camarades et sont prêts à lui venir en aide si besoin est. « J’étais le plus vieux de tous les prisonniers sauf un, je lisais des livres qui leur paraissaient étranges, je passais pour être un écrivain. Ce dernier point les inquiétait et les séduisait. Mais la plupart s’imaginaient qu’un écrivain est un homme qui sait tout. Ils me posaient des questions qui prouvaient que pour eux je représentais une encyclopédie. Ils venaient me trouver pour corriger ou même rédiger leurs lettres, améliorer les rapports qu’ils remettaient à leurs avocats. J’étais devenu une sorte d’écrivain public. » Dans ce récit, on peut également lire tout le mépris que ressentait Philippe Soupault pour la racaille vichyste.  
Et pour ceux qui, comme l’auteur de cette note, ont connu et aimé cet homme digne et généreux, c’est une émotion particulière de le retrouver dans ces pages. J’ai achevé la lecture du Temps des assassins quelques jours avant ce terrible vendredi 13 novembre.  
 
Alain Lance 

 
1. Flammarion, 2010 
2 Photographe, journaliste et traductrice allemande (1901-1996) venue en France au début des années trente et dont les éditions Wunderhorn à Heidelberg ont fait redécouvrir l’œuvre. Dernière publication : Ré Soupault. Das Auge der Avantgarde
3 Bernard Morlino, Philippe Soupault, Qui êtes-vous ?, La Manufacture, 1987 
 
Philippe Soupault, Le temps des assassins, Collection L’imaginaire, Gallimard, 480 pages 
 


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