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Saint-Pol-Roux

Par Florence Trocmé

Saint-Pol-Roux est né simplement Pierre-Paul Roux le 15 janvier 1861 à Saint-Henry, près de Marseille. Après une scolarité chez les frères de Notre-Dame des Minimes, à Lyon, où il écrit, à l’âge de quinze ans un premier drame, Raphaëlo le Pèlerin, qui sera publié en 1880, puis un service militaire qui le conduit à participer à la « sotte guerre de Tunisie », Paul Roux s’installe à Paris, en octobre 1882, pour suivre des études de droit. Mais il ne rêve que théâtre et poésie et déserte rapidement l’amphithéâtre. Il fait paraître à compte d’auteur chez Ollendorff et Ghio des monologues et des poèmes. Son maître est alors Victor Hugo ; il lit les parnassiens : Sully-Prudhomme, Banville, Catulle Mendès, Léon Dierx, au contact desquels il parfait sa technique et développe une haute idée de la poésie. Le jeune homme donne des vers à la revue d’A. Chérié, Le Parnasse – Organe des concours littéraires dont il devient rapidement membre d’honneur. Mais c’est la découverte de l’œuvre de Mallarmé, entre 1884 et 1885, qui, l’éloignant de ses premières amours parnassiennes, lui fait entrevoir la voie poétique à suivre.

En 1886, avec Ephraïm Mikhaël, Pierre Quillard et Rodolphe Darzens, il crée La Pléiade, petite revue symboliste et « grand-mère violette du Mercure de France », qui ne connaîtra que sept numéros. Ses contributions, à l’instar du Traité du Verbe de René Ghil qui paraît dans les livraisons de juillet et août, sont quasi unanimement critiquées dans la presse pour leur outrance. A cette époque, il a déjà développé une conception poétique personnelle et conçu le plan d’un épais recueil : Les Nazaréennes, puis Les Magnifiques. Entre 1887 et 1889, il publie assez peu, essentiellement dans des périodiques marseillais où sa signature se change, pour la première fois, en Saint-Paul Roux ; en Provence, il écrit beaucoup et affine ses théories des « cinq sens » ou du « relief » qui donnent à l’image, neuve, violente, la priorité sur tout autre moyen poétique. En janvier 1890, de retour à Paris, il souscrit pour plusieurs parts au Mercure de France qui vient de naître et dont il sera, sous son pseudonyme définitif de Saint-Pol-Roux, un collaborateur régulier jusqu’en juin 1892. Tout en prenant part active à la défense et illustration du Symbolisme, il critique sévèrement l’idéalisme nombriliste qui confine les poètes en leur tour d’ivoire, et annonce l’avènement du Magnificisme ou Idéoréalisme  : « La règle première du poète est de dématérialiser le sensible pour pénétrer l’intelligible et percevoir l’idée ; la règle seconde est, cette essence une fois connue, d’en immatérialiser, au gré de son idiosyncrasie, les concepts. Ce renouvellement intégral ou partiel de la face du monde caractérise l’œuvre du poète : par la forme il s’affirme démiurge et davantage, car par la ciselure dont il revêt l’or sublime le poète corrige Dieu ». Saint-Pol-Roux fait alors paraître plusieurs ouvrages pour illustrer sa théorie : L’âme noire du prieur blanc, l’Epilogue des saisons humaines, Les Reposoirs de la procession, en 1893, aux éditions du Mercure de France ; Les personnages de l’individu, sous le pseudonyme de Richard Daniel Harcoland, chez Sauvaitre, l’année suivante ; puis viendront La Dame à la faulx (tragédie), en 1899, achevée en exil volontaire dans les Ardennes belgo-luxembourgeoises ; les trois nouveaux tomes des Reposoirs de la procession (La Rose et les épines du chemin, en 1901, De la colombe au corbeau par le paon, en 1904, Les Féeries intérieures, en 1907) et le recueil Anciennetés en 1903 ; ces cinq derniers volumes au Mercure de France.

En 1898, lassé par l’aveuglement de la critique et harcelé par les créanciers, il quitte définitivement Paris et s’installe à Roscanvel, dans la Chaumière de Divine, du nom de sa fille qui y naquit. Charmé par la Bretagne et ses habitants, il se fait bâtir en 1905, avec la somme que lui a rapportée la cession de ses droits d’auteur sur Louise, l’opéra de Gustave Charpentier dont il a écrit le livret, un manoir dominant Camaret-sur-mer. Il ne séjourne plus qu’exceptionnellement dans la capitale, et après la guerre, au cours de laquelle il a perdu son fils aîné Coecilian, il entre dans l’oubli de ses contemporains. Bien que son dernier volume date de 1907, Saint-Pol-Roux ne cesse d’écrire et amasse les manuscrits de poèmes et de drames ; il poursuit également sa réflexion idéoréaliste, trouvant dans certaines découvertes scientifiques et innovations techniques récentes, l’énergie, le radium, les ondes électro-magnétiques, le cinéma, matières à orienter la poésie moderne. Il développe une théorie du Verbe selon laquelle la poésie doit sortir du livre et élaborer un monde nouveau : c’est la Répoétique. Il compose à cette époque la « Synthèse légendaire des pêcheurs de Camaret », œuvre polyphonique, qui en est l’illustration.

En septembre 1923, il reçoit la visite d’André Breton qui reconnaît en lui un maître et un précurseur du surréalisme naissant. Le 9 mai 1925, les surréalistes lui offrent un hommage unanime dans Les Nouvelles Littéraires. Deux mois plus tard, le banquet qui lui est offert à la Closerie des Lilas cause la rupture entre le poète et ses jeunes admirateurs. Saint-Pol-Roux rentre à nouveau dans le silence de Camaret pour se consacrer à son œuvre future. Il contribue néanmoins, bien que retiré, à l’animation de la vie littéraire : il collabore au premier numéro (été 1928) du Grand Jeu ; participe aux manifestations du cinquantenaire du symbolisme ; devient président de l’académie Mallarmé ; etc. En 1939, il publie un poème de protestation contre le sort réservé aux Juifs d’Allemagne, composé six ans plus tôt et dédié à Albert Einstein : La Supplique du Christ, chez Debresse. L’année suivante, les nazis sont en Bretagne. Dans la nuit du 23 au 24 juin, un soldat allemand pénètre dans le manoir, tue la servante Rose, assomme le poète et violente Divine, qui doit être hospitalisée à Brest. Quelques semaines plus tard, la demeure de Saint-Pol-Roux est pillée et mise à sac par l’armée allemande, nombre de ses manuscrits, la plupart inédits, brûlés, déchirés ou éparpillés sur la lande. Le Magnifique meurt le 18 octobre 1940.

Bibliographie
Saint-Pol-Roux a collaboré notamment aux revues suivantes : La Jeune France, La Pléiade de 1886 et 1889, Le Moderniste, Le Mercure de France, La Plume, La Revue Blanche, Les Entretiens politiques et littéraires, L’En-dehors, L’Echo de Paris, Le Livre d’art, L’Ermitage, L’Art Littéraire, Les Essais d’art libre, Le Courrier social illustré, La Société nouvelle, Le Coq rouge, Arte, La Vogue, La Revue d’art dramatique, La nouvelle revue moderne, Poesia, Vers et Prose, La Phalange, Montjoie, La Revue de l’époque, La Dépêche de Brest, Intentions, Comoedia, Le Mail, Le Manuscrit autographe, La ligne de cœur, Le Grand Jeu, Les Nouvelles littéraires, La Grive, L’Esprit français, Ouest Eclair, La Revue de l’ouest, Le journal des poètes, Les feuillets inutiles, Minotaure, Visages du monde, Le Pain blanc, Le Pont Mirabeau, etc.
Œuvres de Saint-Pol-Roux disponibles en librairie :
Le Trésor de l’homme, Rougerie, 1970
La Répoétique, Rougerie, 1971
Cinéma vivant, Rougerie, 1972
Vitesse, Rougerie, 1973
Les traditions de l’avenir, 1974
Correspondance : Saint-Pol-Roux / Victor Segalen, Rougerie, 1975
La transfiguration de la guerre, Rougerie, 1976
Genèses, Rougerie, 1976
La Randonnée, Rougerie, 1978
De l’Art Magnifique, Rougerie, 1978
La Dame à la faulx, Rougerie, 1979
Les Reposoirs de la procession I : La Rose et les épines du chemin, Rougerie, 1980
Les Reposoirs de la procession II : De la colombe au corbeau par le paon, Rougerie, 1980
Les Reposoirs de la procession III : Les Féeries intérieures, Rougerie, 1981
Le Tragique dans l’homme I : Monodrames (Les personnages de l’individu, Les Saisons humaines, Tristan la Vie), Rougerie, 1983
Le Tragique dans l’homme II : Monodrames (L’âme noire du prieur blanc, Le Fumier), Rougerie, 1984
Tablettes (1885-1895), Rougerie, 1986
Idéoréalités (1895-1914), Rougerie, 1987
Glorifications (1914-1930), Rougerie, 1992
Vendanges, Rougerie, 1993
Anciennetés, Plein Chant, 1995
La Rose et les épines du chemin, Poésie/Gallimard, 1997
La Besace du Solitaire, Rougerie, 2000
Les Ombres tutélaires suivies de Tristan la Vie (version inédite), Rougerie, 2005
A consulter : le blog Les Féeries Intérieures, qui lui est consacré.

Contribution de Mikaël Lugan



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