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(note de lecture) James Sacré, "Figures qui bougent un peu", par Jacques Morin

Par Florence Trocmé


SacréLe recueil-titre a été publié par Gallimard en 1978. On retrouve aussitôt la manière bien personnelle de James Sacré. Ce qui m’impressionnait alors, c’est dans le style, le côté un peu négligé de l’écriture du poète. L’absence de la première partie de la négation, le « ne » sautant systématiquement, comme dans le langage parlé. Des fautes de syntaxe aussi : la couleur d’une pomme de terre que je sais pas la variété, ou bien quand même que, ou encore la double interrogation : de quoi est-ce qu’on a peur vraiment d’arriver où ? En fait cette façon familière ou cavalière d’écrire renouvelle de fond en comble la poésie et convient tout à fait à l’expression de ce que James Sacré a à dire. Il s’explique sur ce point en parlant de maladroits accidents et en lançant cette disqualification sans appel : le langage en beau français c’est plein de trous qu’on cache dessous. Ce qui pouvait passer pour négligé se révélait au final comme audacieux et bousculait la syntaxe conforme et conventionnelle. Quant au terme « figure » (variante : forme figurante) qu’il emploie d’une façon systématique et numérotée à chaque titre des poèmes du recueil, il devient un terme, un peu distordu par le poète, qui correspond à la fois à visage, paysage, ambiance, moment, impression, tableau… sans qu’aucun mot ne se montre satisfaisant, d’où le néologisme « figure » sous la plume de l’auteur. Le premier de la série d’ailleurs comprend ces vers : ce que je veux dire / c’est pas grand-chose… et juste après : ça finit dans un poème pas trop construit… Il y a l’humilité de l’artisan qui bricole le langage, avec ses hésitations, ses atermoiements, ses doutes et la lucidité de parvenir à un résultat un peu bancal mais qui représente assez bien ce qui, au fond, était recherché.
Le poème lui-même n’est jamais loin de la préoccupation de son écriture, en ce sens la figure est un autre nom du poème, qui serait comparable à ce que l’image mobile est à la photo fixe. L’intention essentielle demeure de dire le flou, le tremblé qui se loge entre ce qu’on veut dire et ce qui reste de ce qu’on veut dire. Ce qui est vu peut aller jusqu’à rentrer dans le cadre verbal :
la nuit continue touche-t-elle vraiment les branches de ce poème ?
Souvent cela repose sur un souvenir : le visage du père, les travaux de la campagne, l’école, ou l’enfance d’une façon plus générale. Des mots de patois viennent attester l’authenticité du passé paysan : sacs de garous, sabot garoché, parielles… De plus, le poème lui-même devient sujet, figure donc et partie intégrante du poème : un désordre forcément construit ce poème ou plus concret encore : on retourne patauger dans le poème une espèce de lecture … La plupart du temps, le poème part du regard à travers une fenêtre, par exemple, et fouille le paysage, or, à partir de là, se greffe autre chose :
je comprends mal comment des sentiments que j’ai
se mêlent à des mots pour que voilà un poème
.
…des sentiments assez génériques et flous comme colère, mélancolie, désarroi, inquiétude, … et deux autres états, permanents : solitude et silence. On est souvent dans le temps unique, ce qui est arrivé une fois, ou tout au moins la fois dont on se souvient parmi d’autres ; on est parfois dans le temps cumulé, où la répétition des choses s’emboutit pour conférer une valeur générale, presque symbolique aux souvenirs empilés devenu conglomérat de temps. Ainsi dans Figure 24, toute la métaphore de la maison dont l’entrée, en particulier :
on voit que c’est pas seulement le seuil mais plutôt
comme un instant de rencontre que ça fait bouger le temps

On pourrait penser que l’effort d’écriture obérerait tout effort de mise en page, or James Sacré indique en passant :
c’est pour des raisons de composition de cet ensemble de poèmes que je reviens maintenant à l’évocation de ce coin d’Amérique…
alors qu’une série de poèmes parlait de Paris en contrepoint à la campagne, avant donc les maisons coloniales de la Nouvelle-Angleterre, et cette navette continue entre la région américaine où l’auteur vit quand il écrit ses textes et le Poitou où il est né. Correspondance des mots : herbe, ciel, hangars, ferme…  La mémoire rhabille le présent. De même insère-t-il des considérations personnelles, avec pour confident direct son lecteur :
pardonnez-moi l’intrusion de ma sentimentalité dans ce poème ou bien ça va faire un effet de vécu dans la couchée de ces lignes écrites
ou encore
J’aime bien écrire des poèmes lyriques en pensant à autre chose…
La deuxième partie : « Une petite fille silencieuse », insère parfois l’image immatérielle de l’enfant disparue dans le paysage pensé …la musique en allée de toi… L’élégie reste douce, pudique. La préface d’Antoine Emaz analytique et complète ouvre parfaitement à la poésie complexe de James Sacré. Il parle de poète inévitable. Un poète essentiel d’aujourd’hui, en effet.
est-ce que pendant que personne les voit, est-ce que ça disparaît ou que plutôt ça respire plus grand
 les paysages ?

Jacques Morin

James Sacré, Figures qui bougent un peu et autres poèmes, Poésie/Gallimard, n° 510, 2015.


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