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(note de lecture) Dominique Quélen, Basses contraintes, par Antoine Bertot

Par Florence Trocmé

QuélenLire Basses contraintes, c'est retrouver l'écriture singulière et radicale de Dominique Quélen. En haut et en bas des pages, le lecteur reconnaît les blocs de « vers justifiés » déjà présents dans Enoncés-types. Reviennent aussi les mots qui composent depuis longtemps cette poésie : l'« eau » et ses mouvements, les « sacs » qui se remplissent et se vident, l'« os », etc. Mais lire ce livre, c'est à nouveau se heurter à l'énergie de cette langue faite de contraintes et infiniment surprenante.
Le livre est composé de trois sections : « Oiseaux », « Oiseau », « Ø ». Elles suivent la disparition de leur objet « fuyant », passant du pluriel au singulier pour aboutir à l'initiale barrée. Mais d'abord, ces « oiseaux » sont un « élément moteur » (p.19). Très présent dans la première et la deuxième sections, le mot ne disparaît pas totalement de la troisième. Il est plus rare, mais encore présent par exemple dans « l'infini des nuées d'oiseaux » (p.95) ou, en filigrane à la fin du livre, dans l'adjectif « oisive » (p.115). Le mot est « sonore : wazo ».
C'est en fait une des figures qui illustre la tension permanente entre « fuite » et présence, voire hyper-présence. Les restes (« épluchures », « os », « ordures ») parcourent certes le texte. Et même, la chose, à peine vue, disparaît :« On voit. Ce qui est n'est pas ! » (p.84). Le lecteur est pourtant constamment sollicité par une impression d'immédiate énergie qui jaillit des contraintes et de la « basse continue » des textes. Le résultat des nombreux jets de « dés » et de ses combinaisons ne stabilise pas le poème mais relance l'urgence qui dérègle la « machine ».
Comment ? D'abord par la désignation constante du présent grâce aux mots ceci, cela, ici, là, etc. Le poème, les vers, l'écrivain et le lecteur y travaillent : « Mais qui est-on ? Poème et vers ont un lien et on est au travail. C'est ici. Vois. » (p.65). Enfin, par le retour régulier d'impératifs, souvent en fin de poème (« Un maximum de votre clarté fuit. Jetez-la. », p.58, « La fumée vole. Avale-la. », p.80). Le poème, à peine fini, interpelle et somme d'agir à la suite de son envoi (de son envol ?) brutal.
Et pourtant, cette interpellation permanente du présent a rapport avec le « vide ». Les injonctions sonnent avec ironie. Elles désignent, incitent à voir et dérobent. Elles font clignoter l'énergie du sens tout en attisant la « soif » et la « faim ». Elles forment l'urgence et le doute, impression renforcée d'ailleurs par les nombreuses homophonies qui étonnent notre lecture.
Ce doute atteint les choses vues. On devine un « ciel diurne » (p.95), un orage (p.102), du vent (p.104). Mais ces éléments lyriques, et le lyrisme lui-même, sont obstinément questionnés et mis à distance avec humour par les interrogations : « De l'eau chante sa chanson à la nature ? Hein ? Et tu te moques de qui ? » (p. 104). Le doute atteint ainsi l'identité. Plusieurs fois, on lit la dissolution du sujet : « Je constate. Tu décris. […] Tu décris ou le fais-je ? ». Tous les pronoms sont sollicités, sans qu'aucun ne définisse le sujet toujours porté vers un autre : « A se voir on s'abîme dans quelqu'un. » (p.100).
Le clignotement pourrait être alors un nœud de cette poésie : il dit l'énergie des choses et de la langue. Il est rendu visible par la disposition des textes (un texte en haut, un blanc, un texte en bas). Il définit, à la fin du livre, le fonctionnement de l'œil : « Aussi un œil y clignote-t-il. »
Antoine Bertot
Dominique Quélen, Basses contraintes, TH.TY, 2015, 116p.


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