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(anthologie permanente) Dante Alighieri (traduction de Danièle Robert)

Par Florence Trocmé

Danièle Robert vient de faire paraître aux éditions Actes Sud une nouvelle traduction de Enfer de Dante.
On peut lire aujourd’hui deux extraits de cette traduction dans Poezibao, ainsi qu’une note à propos de ce livre.
On peut également relire l’entretien entre Liliane Giraudon et Danièle Robert à propos de cette traduction.
La forêt obscure : Proœmium
Nuit de pleine lune et lever du Soleil
Chant I
   Étant à mi-chemin de notre vie,
je me trouvai dans une forêt obscure,
la route droite ayant été gauchie.
   Ah ! combien en parler est chose dure,
de cette forêt rude et âpre et drue
qui à nouveau un effroi me procure !
   Si aigre que la mort l’est à peine plus…
Mais pour traiter du bien que j’y trouvai,
je parlerai des choses que j’ai vues.
   Ne sais pas bien dire comme y entrai
étant alors si plein de somnolence
que de la route vraie je m’écartai.
   Mais arrivé au pied d’une éminence
où cette vallée avait abouti,
qui avait effrayé mon cœur d’abondance,
   levant les yeux ses épaules je vis,
déjà vêtues des rais de la planète
qui conduit droit par tous chemins autrui.
   La peur alors me devint plus quiète,
qui dans le lac du cœur m’était restée,
la nuit que j’avais passée si inquiète.
   Et comme lorsque, le souffle coupé,
au sortir de la mer et vers l’estran,
on se tourne et on scrute l’eau du danger,
   ainsi mon âme, encore en s’enfuyant,
se retourna pour contempler le pas
qui ne laissa jamais de survivant.
Inferno
Canto I
   Nel mezzo del cammin di nostra vita
mi ritrovai per una selva oscura,
ché la diritta via era smarrita.
   Ahi quanto a dir qual era è cosa dura
esta selva selvaggia e aspra e forte
che nel pensier rinova la paura !
   Tant’ è amara che poco è più morte ;
ma per trattar del ben ch’i’ vi trovai,
dirò de l’altre cose ch’i’ v’ho scorte.
   Io non so ben ridir com’ i’ v'intrai,
tant’ era pien di sonno a quel punto
che la verace via abbandonai.
   Ma poi ch’i’ fui al piè d'un colle giunto,
là dove terminava quella valle
che m’avea di paura il cor compunto,
   guardai in alto e vidi le sue spalle
vestite già de’ raggi del pianeta

che mena dritto altrui per ogne calle.
   Allor fu la paura un poco queta,
che nel lago del cor m’era durata
la notte ch’i’ passai con tanta pieta.
   E come quei che con lena affannata,
uscito fuor del pelago a la riva,

si volge a l'acqua perigliosa e guata,
   così l’animo mio, ch’ancor fuggiva,
si volse a retro a rimirar lo passo

che non lasciò già mai persona viva.
/
Malebolge
Huitième cercle, cinquième bolge :
Escrocs et arnaqueurs
Aux prises avec le peuple des démons
Chant XXI
   Ainsi de pont en pont, tout en parlant
de ce que chanter ma comédie n’a cure,
nous marchâmes ; et étions au sommet quand
   nous vîmes, nous arrêtant, l’autre fissure
de Malebolge et les autres pleurs vains ;
et je la vis étonnamment obscure.
   Comme dans l’arsenal des Vénitiens
bouillonne en hiver une poix tenace,
pour calfater les bateaux en déclin –
   car ne pouvant naviguer à la place
qui rénove son bois et qui radoube
les flancs du sien que trop voyager lasse,
   l’un rivette à la proue, l’autre à la poupe,
l’un fait des rames et l’autre tord des liens,
qui la misaine et l’artimon retoupe –,
   ainsi, non pas par feu mais art divin,
bouillait là-dedans une poix empâtée
qui de toutes parts engluait le ravin.
   Je la voyais mais d’elle ne voyais
que des bulles que le bouillonnement
soulevait, gonflait puis faisait éclater.
   Et comme en bas je regardais fixement,
mon guide me dit : “Attention, attention !”,
du coin où j’étais vers lui me tirant.
Canto XXI
   Così di ponte in ponte, altro parlando
che la mia comedìa cantar non cura,
venimmo ; e tenavamo ’l colmo, quando
   restammo per veder l’altra fessura
di Malebolge e li altri pianti vani ;
e vidila mirabilmente oscura.
   Quale ne l’arzanà de’ Viniziani
bolle l’inverno la tenace pece
a rimpalmare i legni lor non sani,
   ché navicar non ponno – in quella vece
chi fa suo legno novo e chi ristoppa
le coste a quel che più vïaggi fece ;
   chi ribatte da proda e chi da poppa ;
altri fa remi e altri volge sarte ;
chi terzeruolo e artimon rintoppa – :
   tal, non per foco ma per divin’ arte,
bollia là giuso una pegola spessa,
che ’nviscava la ripa d’ogne parte.
   I’ vedea lei, ma non vedëa in essa
mai che le bolle che ’l bollor levava,
e gonfiar tutta, e riseder compressa.
   Mentr’ io là giù fisamente mirava,
lo duca mio, dicendo “Guarda, guarda !”,
mi trasse a sé del loco dov’ io stava.
Dante Alighieri, Enfer, La Divine Comédie, traduit de l’italien, préfacé et annoté par Danièle Robert, édition bilingue, Actes Sud, 2016, 527 p. 25€. Livre publié avec le soutien du CNL.


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