Magazine Culture

(note de lecture) Christophe Fourvel, "Tant de silences", par Antoine Bertot

Par Florence Trocmé

FourvelCe livre tient à la fois de l'essai, de l'autobiographie, du récit, de la poésie. Il vise, par sa diversité, à faire « l'inventaire des silences qui nous envahissent un jour ou l'autre ». Christophe Fourvel ne s'attache donc pas à un silence éthéré, mais à ses manifestations concrètes et, comme le titre le laisse entendre, plurielles.
Cette diversité s'exprime par la structure du livre. La section qui le clôt (« Le dernier silence du peintre ») reprend, en la déplaçant, la première (« Le silence de Tiziano »). Celle-ci évoque, à propos de la peinture d'un nu couché, le lien entre Giorgione et le Titien qui s'en inspire. Christophe Fourvel l'imagine, au moment de peindre la Vénus d'Urbino, « immergé dans un mutisme » (p.19) qui prend son origine dans le sentiment de marcher « là où a marché notre ancêtre » (p.20). Ce silence est chargé du souvenir et ainsi de « l'attestation la plus sûre, la plus chaude, de notre appartenance à une humanité » (p.20). À cette humilité bouleversante répond, en fin de livre, l'image d'un Titien âgé et « insatiable de gloire », celui de sa dernière Piéta : « Le vieillard est bavard, trop bavard, devant sa mort. Il dit que Dieu est un silence insupportable. Nous le savions déjà. Nous l'avions toujours su. Il n'a plus rien à dire » (p.121). La dimension métaphysique du silence entre en écho avec le silence si humain des premières pages.
Entre ces deux silences, « l'inventaire » est large, allant du « silence de Liliane » et de son regard dans Adieu Philippine de Rozier, à celui du « bourreau », en passant par le « moment mutique » d'Ettore Scola qui annonce sa retraite. Écrire sur ces silences permet de traverser l'histoire de l'art, de répondre au désir sensuel, d'interroger la mémoire et la morale car ils nous mobilisent intimement dans notre humanité partagée. Mais dire cela, c'est rendre compte à distance de l'écriture de Christophe Fourvel. Si les sections débutent par une circonstance précise, elles se développent par digressions. « Le silence de Liliane » est l'occasion « d'écrire un récit érotique qui ne met en scène que les yeux » (p.27). Dans « Un concerto pour piano », le portrait de Rachmaninov « qui ne sourit jamais » (p.69), glisse vers le récit autobiographique d'une passion musicale pour le concerto pour piano n°2. Puis, par correspondance, un souvenir d'enfance est évoqué : la « sidération » à l'écoute d'une voix « cassée » (p.72). Vient ensuite une réflexion sur l'omniprésence de la musique et, par contraste, sur la surdité de l'auteur et sur celle, morale, ressentie lors du procès, en 2012, d'une vingtaine de jeunes accusés de viol. Le deuil initial du compositeur se retrouve dans le silence éprouvé face à une violence sidérante. Les liens ténus entre les paragraphes suivent implicitement des brèches ouvertes par la pensée. L'écriture progresse ainsi en silence, l'incarne et en restitue la profondeur.
Le procédé de la liste rend cette impression encore plus intense. Il structure deux sections : « Listes des silences » et « Retour au silence ». Sur quelques pages, des proses courtes se rapprochent de l'allusion, dont l'anthologie permanente a reproduit une partie. Ces lignes sont des ouvertures sans suite. Libre au lecteur de les continuer par un temps de rêverie ou de ressassement capable d'en répercuter le silence.
Antoine Bertot
Christophe Fourvel, Tant de silences, dessins de Jean-Pierre Schneider, L'Atelier contemporain, 2016, 121 p., 20 €


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Florence Trocmé 18683 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines