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(poètes) Ernst Herbeck, par Jean-René Lassalle

Par Florence Trocmé



Ernst Herbeck (1920-1991) est un poète autrichien diagnostiqué comme schizophrène et affligé d’une difficulté d’élocution. C’est pendant ses dizaines d’années d’internement psychiatrique qu’il écrit ses poèmes. Le docteur Leo Navratil, de la clinique innovatrice de Gugging, encourage l’expression artistique des patients, dont certains deviendront des artistes exemplaires dans la direction de « l’art brut ». Herbeck est peu attiré par le dessin et Navratil lui propose d’écrire. Peu à peu s’établit un pacte respectueux et plutôt amical où Navratil apporte chaque fois un titre et Herbeck écrit un poème
en suivant ce titre. La lenteur de la perception qui émane des phrases simples mais insistantes, en variations infimes où elles semblent répétitives, ainsi que certains points de désintégration du langage, peuvent être interprétés comme pathologiques. Mais le psychiatre Navratil lui-même reconnait, fasciné, que là où la communication se dilue, d’autres sens possibles s’assemblent, car, par rapport à d’autres « écrits bruts » à la logorrhée déconcentrée, on sent ici une composition thématique, bancale ou vibratile, et une problématisation du langage. Et ces centaines de poèmes rythmés, souvent assonancés, publiés d’abord sous le pseudonyme de « Alexander », deviennent création littéraire qui séduira même des écrivains comme Ernst Jandl, Friederike Mayröcker et WG Sebald. Il donna sans doute peu de lectures publiques car il était concrètement difficile à comprendre et souvent résident en clinique fermée ou semi-ouverte. Cependant il fut applaudi par des visiteurs non effarouchés par sa prononciation déformée mais intelligible, et son ton digne, lent et doux, un peu triste, devenait élégiaque. Herbeck lui-même ne semblait pas si naïf sur sa situation de poète, ambivalente mais acceptée et poursuivie de manière conséquente, parfois même appréciant son statut de célébrité modeste. Une réflexion du monde fragile et non-conventionnelle s’anime dans ces objets de langage, ténus brinquebalants et pourtant solides, émouvants témoignages d’une voix qui, contre le destin d’un dysfonctionnement complexe, ne voudrait pas s’éteindre, et qui par une petite porte trouve accès à l’espace de la poésie humaine.
Bibliographie sélective
Alexanders poetische Texte, dtv 1977
Im Herbst da reiht der Feenwind, Residenz 1992
Der Hase!!!!, Jung und Jung, 2013
Traduction en francais
100 poèmes, Editions Harpo&, 2002 (bilingue).Traduit par Éric Dortu, Sabine Günther, Pierre Mréjen, Hendrik Sturm et Bénédicte Vilgrain
Sitographie
Court extrait d’un spectacle de Jacques Rebotier d’après des poèmes de Ernst Herbeck
Un Lied de Wolfgang Rihm composé sur un poème de Ernst Herbeck
Le film documentaire de Heinz Bütler Zur Besserung der Person en 1981 montre la vie des patients de Gugging. En avançant le curseur de durée à 46’27’’ on peut voir et écouter Ernst Herbeck réciter son petit poème « Mein Herz » traduit ici.


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