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(anthologie permanente) Jean-Pierre Chambon : "pratique la percée dans le cuir du tambour cardiaque"

Par Florence Trocmé

Jean-Pierre Chambon publie Matières de coma, avec une postface de Bernard Noël, aux éditions Faï Fioc. Poezibao en propose des extraits et renvoie à une note de lecture de Laurent Albarracin.
Tamponne l’ovale. Dirige le tampon sur l’œuf, sur la boule osseuse qui brille, qui bout à l’intérieur, qui s’agrandit dans son habitacle rigide et clos, frappe frappe frappe et frappe et pratique la percée dans le cuir du tambour cardiaque, dans l’étreinte sanglée de sang séché, de membranes et de peaux. L’élan est pris, le pilon tape et provoque les contusions, force comme le bélier qui rebondit, qui rebondit contre la paroi impraticable, qui force le passage, la paroi sans porte, sans passage, qui frappe la porte au vol pour pénétrer dans le palais élémentaire, dans la chair sans protection, sans cuirasse et sans casque, sans écailles ni poils. Sous la dictée des coups découpe la coque, meurtrit membrane sur membrane, mur après mur après mur, écorche l’écorce, appuie le poteau offensif, maintient la pression et multiplie la frappe pour s’introduire jusqu’à la douleur intime.
Le feu, l’énorme souffrance parvient au centre, au milieu de la tête tombée, l’écorchée, la tête tombale, où gît l’organe sous la gélatine, sous les cheveux coupés, les mèches mouillées collées dans la purée durcie, dans le silence que couve la nuit des matières inertes, l’amas central et sans fin. La sonde est enfoncée sous la carapace, enfoncée jusqu’aux produits de la ponte, jusqu’aux œufs séculaires relégués dans l’empire de stagnation. Le centre s’immobilise, se paralyse, s’innerve sous la poussée du tronc, du tube transversal qui distribue les chocs, qui plante sa hampe sur le sommet pointu, qui pilonne l’emmuré, la paroi chauve et chaude, la perfore. Perfore la cloison de la chambre et parvient jusqu’au minerai, jusqu’à la mine viscérale, et tombe parmi les lueurs de mica.
Tombe parmi les éclats de tête, les pierres tombées du socle, du plafond vertigineux, pierres décapitées en pleine course, en plein éboulement, parmi les bruits éteints, pierres qui roulent jusqu’au tombeau tapissé de fourrure, jusqu’à la cage d’os, jusqu’au palais qu’illumine la lampe frontale, qu’illuminent toutes les lampes du palais. Où s’allument les torches vives, les soleils de sang, l’incendie sous le sol dilaté, dans toutes les chambres à combustion, dans les poches où croupit l’étincelle électrique, l’étincelle annonciatrice des plus puissants diamants, des flèches de jade et des couteaux polaires, des tiges qui pointent sous la viande, qui incisent l’amas poreux, qui pourrissent dans les plaies ou y laissent leurs éclats voilés, leurs inscriptions mortuaires et mortes, leurs dégâts d’incendie. Le feu est porté jusqu’au centre du froid, jusqu’au cercle de pierres, jusqu’à l’avalanche que déclenche l’éclair, la descente de lumière parmi les poussières de charbon, parmi la masse du sang obscur. L’avalanche et le feu sont portés jusqu’au point indolore, jusqu’à l’anesthésie, jusqu’au centre compact où bat la pierre lourde, le caillou immuable, le roc assommé par les milles becs du choc, par les mille frondes qui lapident la pierre.
Jean-Pierre Chambon, Matières de coma, suivi de L’étreinte mentale de Bernard Noël, éditions Faï Fioc, 2016, pp. 19-21.


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